Un héros dans une charrette

   

La comtesse de Champagne demande à Chrétien de Troyes de lui écrire un roman, c’est-à-dire, un livre rédigé dans un français que tout le monde puisse comprendre : le bon françois du XIIe siècle. C’est ainsi que Chrétien, sur un canevas de sa protectrice, s’attelle à l’ouvrage et entreprend le récit du CHEVALIER DE LA CHARRETTE (en capitales dans l’original).

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Le jour de l’Ascension, le roi Arthur organise une grande fête à Camelot (ou Camelotte, ou Caamelot, ou Camaalot, ou Kaamelott, ou Camelo, ou Kameled, ou Camaret). Il n’y a que du beau monde : la reine Guenièvre, sur son trente-et-un, entourée de tout ce que la Bretagne compte de barons et de gentes dames parlant français sans accent. Keu, le sénéchal, mange à part avec les chambellans.

Tout le monde est en train de s’éclater quand un chevalier en armure se joint à la fête. Il va trouver Arthur et lui dit :

« Je suis venu te prévenir que je détiens prisonniers des gens à toi, et que tu peux toujours courir pour les récupérer. Toutefois, si la reine, accompagnée d’un de tes meilleurs chevaliers, accepte de me rencontrer là où je vais, et si ce chevalier parvient à me vaincre, je vous rendrai et la reine, et les prisonniers. »

Ce rabat-joie a réussi à plomber l’ambiance !

Comme si Arthur n’avait pas assez d’ennuis, Keu quitte la cantine en plein repas et va trouver son patron :

« Sire, j’ai décidé de vous donner ma démission.

– J’espère que c’est une blague !

– Je n’ai pas envie de rigoler. J’en ai marre de travailler pour vous. »

Arthur est très contrarié. Après avoir en vain supplié son sénéchal de rester, il décide de labourer avec sa propre génisse. Il explique la situation à Guenièvre. Si elle lui fait un numéro de charme, peut-être Keu se décidera-t-il à rester.

Ainsi fut fait. À force de charme et de supplication, elle parvient à le faire revenir sur sa décision, mais à une condition.

« Laquelle ?

– Que le Roi m’accorde ce que je lui demande.

– C’est promis, juré, craché. »

« Et quelle est donc cette condition ? » lui demande Arthur.

« Que ce soit moi qui accompagne la reine et qui combatte le chevalier.

– Ce n’est pas gagné ! »

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Gauvain, le neveu du Roi, juge plus prudent de les suivre à distance, pour intervenir si les choses tournent mal.

Il se met en route avec ses hommes.

« Le sénéchal ne devrait pas tarder à arriver, voilà déjà son cheval ! »

Le cheval porte des traces de sang sur la selle et les harnais, mais pas de Keu à l’horizon.

Un autre chevalier rejoint Gauvain. Sa monture est fourbue. Gauvain accepte de lui prêter un des deux chevaux. Il ne tardera pas à retrouver ce cheval mort ; autour de lui, des traces de combats, mais là encore, pas de cavalier.

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Gauvain et ses compagnons poursuivent leur chemin et trouvent notre cavalier à pieds, en armure et en un seul morceau, auprès d’une charrette.

C’est une de ces charrettes dédiées à l’infamie : de ces voitures qui transportent les condamnés à mort jusqu’au lieu du supplice. Les assassins, les traîtres, les brigands de toutes sortes sont ainsi menés à travers les rues de la ville, avant d’être pendus. Il fallait être bien fou pour désirer un voyage en première classe dans ce genre d’omnibus.

Le chevalier dit au charretier :

« N’aurais-tu pas vu passer la reine, par hasard ?

– Oui.

– Tu pourrais me dire par où elle s’en est allée ?

– Oui.

– Alors dis-le-moi.

– Non.

– Et pourquoi, s’il te plaît ?

– Si tu montes dans la charrette, je te dirais tout ce que tu veux savoir.

– Quoi ? Je suis un chevalier de la Table ronde, je te signale. Je n’ai pas eu mon adoubement dans un paquet de Bonux ! »

Pourtant le chevalier finit par accepter, après maints détours. Il monte dans la charrette dans le même état d’esprit que Félixérie dans la carriole qui devait la conduire à Chambord.

Gauvain, à son tour aborde le charretier :

« N’aurais-tu pas vu passer la reine, par hasard ?

– Oui.

– Tu pourrais me dire par où elle s’en est allée.

– Oui.

– Alors dis-le-moi.

– Non.

– Et pourquoi, s’il te plaît ?

– Si tu montes dans la charrette, je te dirais tout ce que tu veux savoir.

– Pas question. Je ne suis pas fou, moi. »

Ils poursuivent ainsi leur chemin : Lancelot recroquevillé dans un coin de la charrette, Gauvain le suivant à cheval.

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Ils parviennent à un bourg dominé par un magnifique château. En voyant entrer la charrette, les gens se mettent à huer comme des chats. Les enfants font une ronde autour de Lancelot et lui lancent une comptine : « Hou les cor-neus ! La charret-teu ! Hou les cor-neus ! »

Les plus curieux interrogent le nain qui conduit la charrette : « Qu’est-ce qu’il a fait au juste ? Est-ce un meurtrier, un voleur, un hérétique, un pédophile ? S’est-il livré à une comparaison animalière sur la personne du prévôt ? Et qu’est-ce qu’on va lui faire ? Est-ce qu’on va le pendre après l’avoir décapité ? »

Le nain, qui est toujours au courant de ce genre d’événement, répond qu’il n’en sait rien.

Les chevaliers sont accueillis par une gente demoiselle d’une beauté sans rivale. Elle reçoit Gauvain avec tous les honneurs, dédaignant Lancelot qui s’est trompé de limousine.

À l’heure du coucher, on prépare trois lits confortables pour les deux chevaliers.

« Choisissez chacun entre ces deux-là, » dit la belle demoiselle. 

« Moi je prends le troisième, » répond Lancelot.

« Vous m’avez mal comprise, jeune homme. Vous n’avez le choix qu’entre ces deux lits. »

Or, le lit que regarde Lancelot est plus grand, plus haut, son matelas plus épais, les draps sont en satin brodé d’or, la couverture est d’hermine.

« J’ai très bien compris, et je prends celui-là.

– Personne n’y dormira.

– Je dors où je veux ! Je suis un chevalier. Je fais partie de la cour du roi Arthur et je mérite cet honneur.

– Chevalier ou pas, quand on est arrivé sur la charrette, on s’écrase, on ferme son clapet et on dort où on nous dit de dormir.

– Il n’y a pas de charrette qui tienne ! Je dormirai dans le grand lit.

– Alors, allez-y, dans le grand lit ! mais ne pleurez pas s’il vous arrive des bricoles, je vous aurai prévenu. »

Lancelot va se coucher, tire les rideaux du baldaquin et s’endort.

Au milieu de la nuit, une lance enflammée tombe du plafond, traverse le matelas et se fiche dans le sommier, juste au moment où Lancelot se retourne pour changer de côté. Il a eu un vrai coup de chaudron.

Le chevalier étouffe le feu avec son oreiller, déplante la lance, se recouche et, comme si rien n’était arrivé, retombe dans les bras de Morphée.

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On vit par les fenêtres du château un géant en armure accompagné d’un homme sur une civière et d’une très jolie femme. Lancelot reconnaît la reine. Il en est tellement amoureux qu’il manque de se jeter du haut de la tour pour se précipiter dans ses bras. La jolie demoiselle dit que si c’est pour l’amour d’une dame qu’il est monté dans la charrette maudite, c’est tout à son honneur. Elle cesse alors de le mépriser et lui offre en souvenir un cheval et une lance.

Nos compagnons reprennent la route. Ils tentent en vain de rejoindre le grand cavalier, et surtout Guenièvre. Ils rencontrent une jolie demoiselle, encore une, qu’ils interrogent :

« Le chevalier si fort et si grand, c’est le prince Méléagant, fils de Bademagu, le roi de Gorre. Il conduit la reine dans son royaume.

– Eh bien ! allons-y ! qu’est-ce qu’on attend ?

– Ce ne sera pas de la tarte. Il faut traverser une rivière, et il n’existe que deux chemins, le premier passe par le pont Dans l’Eau parce qu’il est submergé et l’on n’a pas pied.

– Cela valait bien la peine de construire un pont.

– En tout cas, l’apnée, ce n’est pas mon truc.

– À moi non plus.

– Et l’autre chemin.

– L’autre ? Vous allez rire. C’est encore bien pis. Il passe par le pont de l’Épée.

– le pont de l’Épée ?

– Oui. Comme son nom l’indique, ce n’est pas un pont, c’est une épée, le tranchant vers le haut. Si vous glissez, cela pourrait bien vous désolidariser les joyaux. Vous tenez toujours à y aller ?

– Bon, il va falloir se décider. Qu’est-ce que tu choisis ?

– Toi d’abord. »

Les chevaliers finissent par se mettre d’accord. Lancelot passera par le pont de l’Épée et Gauvin par le pont Dans l’Eau.

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Le voyage de Lancelot se poursuit sans incident majeur, si ce n’est une petite altercation avec un malotru qui voulait l’empêcher de franchir une rivière à gué. Notre chevalier lui a flanqué la raclée de sa vie, mais il l’a épargné par égard pour la jeune femme qui l’accompagnait.

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Poursuivant sa route, il rencontre une gente dame, dont je n’ose même pas imaginer la beauté, et qui lui dit :

« Si tu ne sais pas où loger, je peux t’héberger pour la nuit, à la seule condition que nous la passion ensemble à faire du trampoline. »

N’importe quel quidam aurait sauté sur l’occasion, mais Lancelot a décidé de faire sa chochotte.

« Euh… oui… enfin non… en fait… ça ne m’emballe pas tellement cette affaire-là.

– Dans ce cas, tu passeras la nuit dehors.

– Oui, évidemment, dans l’alternative… mais alors juste une fois. »

Voici notre chevalier installé dans le superbe château de la demoiselle, qui l’invite à un somptueux repas. Dans la soirée, il l’entend appeler au secours. Il dégaine, se précipite dans la chambre et voit son hôtesse agressée par une demi-douzaine de brutes armées de haches et de masses d’armes, genre Conan le barbare. Il commence à en occire un ou deux.

« C’est bon, c’est bon, » dit la châtelaine, « ce sont des copains à moi et c’était pour voir si tu étais courageux. Et comme tu l’es, tu pourras passer la nuit dans mon lit, comme convenu. »

Le soir venu, la jeune femme se met au lit, Lancelot en fait autant.

« Ah non ! Décidément, je n’ai pas envie… »

Alors, il s’allonge sur le dos et attend que ça se passe.

« Bon, puisque c’est comme ça, » dit la fille, « je vais dormir à côté sur le canapé.

– Bonne nuit. »

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Lancelot repart le lendemain, la demoiselle frustrée l’accompagne afin de bénéficier de sa protection.

Parvenus près d’une fontaine, ils y trouvent un peigne où est restée accrochée une poignée de longs cheveux blonds. La fille reconnaît le peigne, Lancelot reconnaît les cheveux : c’est la reine Guenièvre qui est menacée par la calvitie précoce. Il donne le peigne à sa copine qui voulait le récupérer, car il est en ivoire, et il garde les cheveux.

Ce n’est tout de même pas très hygiénique.

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Traversant une forêt, le chemin devient si étroit qu’il n’est plus possible de chevaucher de conserve et, galanterie française oblige, Lancelot laisse sa copine passer devant. Un chevalier ne tarde pas à leur barrer la route.

« Ce n’est pas vrai, » soupire-t-elle, « il ne manquait plus que celui-là !

– Qui c’est cet abruti ?

– C’est mon amoureux. J’ai beau lui répéter cinq cents fois que je ne veux pas l’épouser, il me colle à la peau comme un bigorneau sur son rocher. C’est le moment de me prouver que tu es courageux en me débarrassant du bonhomme. »

Il fait la tête, Lancelot. Après tout, il a de bonnes raisons d’être vexé. N’a-t-il pas déjà prouvé son courage la veille au soir ? A-t-elle déjà oublié ? L’autre achève de l’énerver en l’abordant avec de grands airs.

« Ce n’est pas un gringalet comme toi qui va m’empêcher de repartir avec ta chérie. C’est moi le plus beau, c’est moi le plus grand, c’est moi le plus fort. Aillame ze quingue !

– C’est ce qu’on va voir. »

Nos deux rivaux s’affrontent dans une plaine, en présence de nombreux touristes. Je vous passe les détails : Lancelot est vainqueur (forcément, puisque c’est lui le héros). On continue.

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Ils parviennent à un monastère que jouxte un cimetière. Le chevalier ne se conduit ni en rustre ni en goujat, mais il met pied à terre pour aller prier dans le moutier. Un vieux moine le rejoint et lui explique la particularité de ce cimetière. Chaque tombe porte le nom de celui qui est destiné à y demeurer : Gauvain, Louis, Yvain, et bien d’autres. Parmi elles se dresse un caveau de marbre qui les surpasse toutes en beauté : celui de Lancelot. La dalle est si lourde qu’il faudrait sept colosses pour la soulever. Il y est gravé :

« Celui qui soulèvera tout seul la lame délivrera ceux et celles qui sont prisonniers en la terre dont nul ne sort, serf ni gentilhomme, à moins d’y être né ; jusqu’à maintenant aucun prisonnier n’est retourné chez lui. Les gens d’ailleurs se trouvent en prison, mais ceux du pays vont et viennent, entrent et sortent comme ils veulent. »

Lancelot soulève la pierre comme une planche de balsa. Le moine en reste estomaqué.

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Les deux cavaliers qui suivaient Lancelot décident de faire demi-tour. Quant à la belle, vexée à son tour de ce que son compagnon de route refuse obstinément de lui dire son nom, elle se sépare de lui et rentre à la maison. Le voilà tout seul comme un grand à poursuivre son voyage, lequel n’est interrompu que par un nouveau combat au pont des Pierres.

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Les étapes se succèdent, et je me permets d’en brûler quelques-unes, car cette histoire commence à m’agacer.

Lancelot aussi est agacé par un chevalier arrogant qui lui réchauffe les habituels quolibets au sujet de la charrette. Il pousse l’outrecuidance jusqu’à lui dire qu’il n’est pas capable de franchir le pont de l’Épée, mais que lui, lui proposait son bac. Pour prix du péage, Lancelot devrait seulement lui livrer sa tête, une fois la rivière traversée.

« Ma tête ! ça ne va pas la tienne ?

– Quand on a voyagé dans la charrette, on peut bien voyager en barque, et ta tête, elle ne vaut plus celle d’un clou.

– Or ça, maraud ! C’est moi qui vais te clouer ! En garde ! »

Encore une margaille ! Il y avait longtemps ! les épées commençaient à rouiller dans leurs fourreaux.

Au terme d’un interminable combat, Lancelot fait voler le heaume de son adversaire qui lui demande :

« Que faut-il faire pour obtenir votre grâce ?

– Monter dans la charrette. »

Çà c’est envoyé !

Le vaincu ne veut pas mourir, mais il ne veut pas non plus monter dans la charrette. Pendant qu’ils essaient de trouver une solution, une fille ébouriffée s’amène au triple galop. Sa monture n’en peut plus tant elle l’a cravachée.

« Ça tombe bien, » dit-elle, « j’ai un vieux compte à régler avec cet énergumène. Donnez-moi sa tête, et je vous en serai infiniment reconnaissante.

– Vous ne pouvez pas faire un truc pareil ! Elle ne peut pas me saquer, de toute façon.

– Je suis bien embarrassé, mademoiselle. Croyez bien que ce serait pour moi un plaisir de vous satisfaire, mais j’avais résolu de lui faire grâce, et je ne puis m’en dédire. »

Puis il réfléchit : il y a bien une solution ; il suffit de recommencer le duel, et si le gaillard est encore battu, je ferais ce qu’elle décidera.

On reprend les mêmes et on recommence. Lancelot gagne la deuxième manche, il décapite son adversaire et offre la tête sanguinolente à la jeune Salomé, dans un papier cadeau.

La demoiselle repart, la tête sous le bras, non sans avoir promis à Lancelot une précieuse récompense.

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Lancelot parvient enfin au pont de l’Épée. Depuis le temps qu’on en parle !

La rivière est noire, laide, sale, profonde, et secouée de rapides. On aurait dit la rivière du diable. Le chevalier doit abandonner l’idée de traverser à la nage. Il faudra passer par le pont, qu’on le veuille ou non.

Comme si ce n’était pas suffisant, il y a deux lions qui l’attendent sur l’autre rive.

« Bon, » dit-il, « Yapuka ! »

Et comme il est du genre à aimer la difficulté, il enlève ses jambières et gantelets, et franchit la rivière à quatre pattes sur le fil. Il se coupe de partout, mais il ne pleure pas, c’est un grand garçon.

Il parvient sur l’autre rive, tout sanguinolent, mais il lui reste à s’occuper des lions.

« Eh bien ? Où est-ce qu’ils sont passés ? »

Ont-ils eu peur ? Était-ce une hallucination ? Toujours est-il qu’ils ne sont plus là.

Bon, ce n’est pas tout ! maintenant il faut aller libérer la belle Guenièvre.

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Au loin, à la fenêtre d’un château aux tours formidables, deux hommes équipés de bonnes paires de jumelles, observent la scène : Méléagant et son père, le roi Bademagu, aussi sage et honnête que son fils est débauché.

Méléagant n’est pas dans son assiette. Il était tellement certain que personne ne pouvait franchir le pont de l’Épée ! Heureusement, il compte sur sa force pour empêcher qu’on lui reprenne Guenièvre.

« Tu ferais mieux de laisser tomber, » lui dit son père, « sur ce coup-là tu ne fais pas le poids. »

Mais le vil Méléagant n’en fait qu’à sa tête : même s’il a tort, c’est lui qui a raison.

Bademagu qui, décidément, est une brave tête, offre l’hospitalité au chevalier, le temps pour lui de soigner ses blessures. Il sait que l’affrontement avec Méléagant est inévitable, mais il propose à Lancelot de prendre trois semaines de congé de maladie avant de se mettre à l’ouvrage.

« Pas question ! ma mission n’attend pas. »

Le roi de Gorre revient vers son fils, essaie en vain de le persuader de rendre Guenièvre à Lancelot et de s’en arrêter là.

« Cause toujours, vieux débris ! » répond Méléagant.

Le jour du combat est arrivé. C’est pire qu’une finale de coupe du monde. Tous les supporteurs de Lancelot, sujets du roi Arthur et prisonniers au royaume de Gorre, sont rassemblés. Les gens de Gorre sont là aussi pour soutenir leur champion Méléagant.

L’affrontement dure des pages et des pages.

Résumons.

D’abord, Super-Lancelot prend l’avantage de la lutte, mais bientôt, sa blessure se réveille, et comme il a perdu beaucoup de sang, il commence à sentir la fatigue, et son adversaire prend le dessus.

À une fenêtre du château, Guenièvre, accompagnée d’une jeune fille de sa suite, assiste à la déroute de notre héros.

« Comment s’appelle ce preux chevalier ? » demande celle-ci à sa maîtresse.

« C’est Lancelot, Lancelot du Lac. »

La fille se met à agiter la main.

« Yohou ! Lancelot ! Lancelot du Lac ! Youhou ! Regarde qui est à côté de moi. »

Le chevalier lève la tête vers la fenêtre.

« Ah ! Guenièvre ! Gargl ! »

Méléagant profite de cet instant d’inattention pour lui en mettre une. Lancelot se trouve tout ragaillardi par la vue de celle qu’il aime. Tout en regardant Guenièvre, il agite vaillamment son épée. Le problème, c’est qu’il se trouve entre Méléagant et Guenièvre. Il fait donc face à Guenièvre, mais il tourne le dos à Méléagant qui profite de la situation pour l’attaquer par-derrière.

Lancelot n’est pas plus avancé, car s’il fait face à son adversaire, il ne voit plus Guenièvre et, du coup, il perd son courage.

Que faire ?

Il comprend enfin qu’il lui suffit, à force de coups d’épée, de contraindre son adversaire à changer de place. Maintenant, c’est Méléagant qui se trouve au milieu, entre Lancelot et Guenièvre. Du même coup, Lancelot peut regarder en face Méléagant et Guenièvre.

Vous me suivez toujours ?

Maintenant, le chevalier à la charrette reprend du courage et des forces. Il pousse le félon qui recule jusqu’à la muraille du château.

Les deux combattants se retrouvent contre la muraille. De cette place, Lancelot ne peut plus voir Guenièvre. Il recule, Méléagant avance jusqu’à ce que Lancelot puisse à nouveau voir Guenièvre. Celui-ci ayant forgé sa tactique, il prend définitivement le dessus.

Le roi Bademagu commence à sérieusement s’inquiéter. Méléagant a beau être une fripouille, c’est tout de même son fils. Il va trouver Guenièvre et lui dit :

« Madame, j’ai toujours réprouvé la manière dont mon fils en a usé envers vous, mais je vous ai toujours traitée avec bienveillance. Sauriez-vous avoir la bonté d’intervenir auprès du chevalier afin qu’il ne le tue pas ?

– C’est vrai que vous n’êtes pas taillé dans le même bois que votre fils, et, si celui-ci ne fait pas beaucoup d’efforts pour se faire aimer, vous, au moins, vous avez fait preuve de gentillesse à mon égard. Je vais voir ce que je peux faire. »

Malgré le bruit des armes et les clameurs de la foule, Lancelot a entendu ce qui se disait dans le château. Ne me demandez pas de vous expliquer comment.

Notre féal chevalier, par amour pour sa reine, commence à baisser la garde, Méléagant en profite lâchement pour multiplier les gnons.

Bademagu descend sur le terrain pour envoyer une soufflante à son fils.

« Tu n’as pas le droit de frapper un homme qui ne rend pas les coups. De toute façon, il est plus fort que toi.

– Mêle-toi de ce qui te regarde, pépé ! C’est moi le plus fort, et je m’en vais lui régler son compte. »

Le roi ordonne alors de faire cesser le combat, après une violente altercation avec Méléagant qui veut toujours avoir raison.

On parvient à l’accord suivant :

Lancelot reprend la reine et les prisonniers, toutefois, il s’engage à livrer dans un an, à Camelot, (ou Camelotte, ou Caamelot, ou Camaalot, ou Kaamelott, ou Camelo, ou Kameled, ou Camaret) un nouveau combat contre Méléagant. Si Lancelot est vaincu, Méléagant récupère Guenièvre.

« Tope là ! »

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 Les filles se mordent et se griffent pour un de ses boutons de chemise. Il va maintenant être introduit auprès de la reine. Il s’attend, bien sûr, à ce qu’elle aille se jeter dans les bras de son libérateur, mais elle ne bouge pas de son siège. Bademagu est un peu gêné.

« Ce preux chevalier a bravé mille périls pour venir vous délivrer, et cela mérite bien une petite baise sur le front.

– Et puis quoi encore ? Je n’en ai rien à cirer, moi, de ce mec ! Qu’il aille se faire voir ! »

Tout le monde reste comme deux ronds de flan. Lancelot essaie de rattraper le coup :

« Souffrez, Madame…

– Je n’ai rien à vous dire, et d’ailleurs, je me casse ! »

Guenièvre file dans sa chambre et claque la porte.

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Personne ne comprend ce qui se passe. Le pauvre Lancelot a le cœur en charpie.

Pour sa consolation, il retrouve son ami Keu, blessé lors du premier combat, et prisonnier, lui aussi. Le bon roi Bademagu s’occupe personnellement de le soigner, mais sa guérison traîne en longueur. En effet, dès que le roi a le dos tourné, l’ignoble Méléagant lui refait ses pansements avec un onguent de la sorcière du coin.

Lancelot reprend le chemin du pont Dans l’Eau où il a rancard avec Gauvain. Il ne tarde pas à se faire enlever, surpris alors qu’il était sans armes. On n’entend plus parler de lui et le bruit court jusqu’aux oreilles du roi que le chevalier est mort, et même décédé. Les Brabançons sont accusés de ce crime, comme quoi Baudelaire n’a pas inventé la belgophobie.

Bademagu ne pense qu’à faire pendre ces maudits mangeurs de gaufres. Quant à Guenièvre qui, tout compte fait, en a quelque chose à cirer de Lancelot, se frappe la poitrine :

« Mea culpa, mea maxima culpa… »

Elle se repent d’avoir envoyé balader son amoureux, elle ne pensait pas qu’il aurait pris ça au tragique. Elle s’enferme dans un jeûne de culpabilité et la rumeur se répand qu’elle s’est laissée mourir de faim.

Ladite rumeur tombe dans les oreilles de Lancelot qui a retrouvé sa liberté et qui décide de mettre fin à ses jours. Il fait un nœud coulant qu’il se passe au cou, il attache l’autre bout de la corde à la selle et il lance son destrier, sans l’avoir monté, sinon ça ne pouvait pas fonctionner. Ses compagnons de route, témoins de l’accident, lui sauvent la vie.

« Ça va bien, Messire ?

– Krr, krr, krr… »

Le chevalier poursuit son chemin en ruminant des idées noires. Il ne cesse de penser à Guenièvre. Il cherche à comprendre pourquoi elle l’a lourdé.

« Qu’est-ce que j’ai dit ? Qu’est-ce que je n’ai pas fait ? Ah ! mais oui ! Elle a su que je suis monté dans la charrette. C’est pour ça qu’elle fait sa dégoûtée. C’est tout de même par amour pour elle que j’ai fait ça. C’est vraiment trop injuste ! »

Heureusement, tout finit par s’arranger : Lancelot apprend que Guenièvre n’est pas morte et n’a plus envie de se suicider ; Guenièvre apprend que Lancelot est toujours en vie, elle recommence à manger, retrouve des couleurs et promet dans son for intérieur de ne plus jamais lui balancer des piques vexatoires.

Mais l’histoire n’est pas finie.

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Lancelot part au triple galop rejoindre sa bien-aimée, laissant derrière lui les Brabançons bien ennuyés[1].

« Ah ! Lancelot, mon amour !

– Ah ! Guenièvre, ma chérie ! »

Après les embrassades, les explications.

« Ce n’est pas parce que tu es monté dans la charrette que je t’ai tiré une tête de phacochère, c’est parce que tu as fait des manières : “Et les voisins, qu’est-ce qu’ils vont dire ? Et gnin gnin gnin, et gnin gnin gnin…” Si tu m’aimais pour de bon, tu y aurais sauté à pieds joints, dans cette charrette. »

Après les explications, la réconciliation.

Après la réconciliation, le rendez-vous galant, ce soir quand tout le monde sera couché, à la fenêtre de Guenièvre.

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Lancelot est impatient. Il lui semble que l’après-midi est plus long que l’éternité.

Le soir arrive enfin. Il quitte son lit pour aller rejoindre sa tourterelle. Quel dommage qu’il y ait des barreaux croisés, en plus des vitres, à cette fenêtre !

Finalement, cela ne les empêche pas de se parler, mais le chevalier n’en peut plus.

« Ce n’est pas une malheureuse grille qui va m’arrêter. »

Lancelot parvient à la desceller, mais en se blessant à la main, par précaution, Guenièvre est allée se recoucher afin de ne pas réveiller Keu, convalescent, qui dort à côté.

Le chevalier la rejoint. Lui qui faisait tant le difficile un certain soir se rattrape sur ce coup-là. Chrétien de Troyes a d’ailleurs refusé de donner des détails sur cette nuit sulfureuse.

Après avoir trampoliné jusqu’à l’aube, il se résout, à grand-peine, à prendre congé. Il remet la grille à sa place. Ni vu ni connu.

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En plus d’être un félon, Méléagant est jaloux comme un rat. Au matin, il va voir Guenièvre qui est réveillée, mais toujours au lit.

« Comment se fait-il qu’il y ait du sang sur vos draps ?

– Mais je n’en sais rien, moi. Je n’avais jamais même pas remarqué.

– Je vais vous expliquer, puisque vous faites la nunuche. C’est un coup à Keu.

– Quoique quoi ?

– Cette nuit, le sénéchal vous a rejoint dans votre lit, et il a fait avec vous des choses qui ne sont pas raisonnables, vu son état. Et à force de faire des bonds sur le matelas, sa blessure s’est rouverte.

– N’importe quoi, biloute ! J’ai saigné du nez, ce sont des choses qui arrivent.

– Or ça, madame ! Votre Majesté me prend-elle pour une cruche ? J’ai enfin trouvé les preuves de votre impudicité. Fini de rire, maintenant ! »

Méléagant court trouver papa et lui explique la situation, mais Bademagu refuse de le croire. Il accepte néanmoins d’aller constater de visu et d’écouter la reine, qui nie ces accusations, bien entendu. Keu, évidemment, soutient son alibi. Méléagant sort tout de suite les grands mots : « Ce sont les démons de l’enfer qui vous ont poussée à cette infamie. »

Dans ce genre de situation, il n’y a qu’une solution : il faut que Keu combatte Méléagant, Dieu s’occuperait du reste, mais il y a contre-indication médicale, en ce qui concerne Keu.

Guenièvre appelle sa servante :

« Va vite me chercher Lancelot ! Il y a un problème, là ! »

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Et voilà ! C’est Lancelot qui va s’y coller, au duel judiciaire. Pour la deuxième fois, il va affronter son ennemi intime Méléagant, chacun jure devant les Saintes Reliques et en appelle à la justice divine.

« On commence.
– Le beffroi !
Coups de lance,
Cris d’effroi.
On se forge,
On s’égorge,
Par Saint-Georges
Par le roi ! »
                       (le grand Victor)

La bagarre traîne en longueur, le roi commence à en avoir assez, il bâille comme un écureuil, selon l’expression de mon petit-fils, et fait part à la reine de sa lassitude. Lancelot, qui a toujours aussi bonne ouïe, baisse la garde ; Méléagant, comme toujours, profite de la situation ; Bademagu, comme d’habitude, lui passe un savon, Méléagant le prend toujours aussi mal, mais le combat cesse, l’honneur de Guenièvre est sauf. Lancelot pense qu’il est grand temps de rejoinde Gauvain au pont Dans l’Eau.

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La reine lui accorde la permission. Il part avec une flopée de chevaliers.

En route, ils rencontrent un nain à cheval :

« Lequel de vous est Lancelot ?

– C’est moi.

– Si vous voulez bien me suivre. J’ai quelque chose de génial à vous montrer. »

Et Lancelot, en toute confiance, suit le nabot.

Le temps passe, Lancelot ne revient pas, ses copains commencent à s’inquiéter.

« Bon ! Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? On ne sait même pas où il est.

– Allons déjà chercher Gauvain, il nous aidera peut-être à le retrouver. »

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Les cavaliers arrivent au pont Dans l’Eau juste au moment où Gauvain est en train de boire la tasse. Après l’avoir tiré du courant, lui avoir pratiqué la respiration artificielle et le bouche-à-bouche et lui avoir fait expectorer la moitié de la rivière, ils lui expliquent la situation.

On décide, en définitive, d’aller rejoindre la reine. Le roi Bademagu ne se mettrait pas en peine de retrouver Lancelot.

Guenièvre en a gros sur la patate.

Le roi met tout en œuvre pour retrouver le chevalier, mais les recherches restent vaines.

Enfin, un jeune homme apporte une lettre signée de Lancelot : celui-ci est rendu auprès du roi Arthur, en parfaite santé, et il invite Guenièvre, avec Keu et Gauvain, à venir l’y rejoindre.

Voilà tout le monde rassuré.

Chacun plie bagage pour partir en vacances à Camelot (ou Camelotte, ou Caamelot, ou Camaalot, ou Kaamelott, ou Camelo, ou Kameled, ou Camaret).

Quand ils sont arrivés, Gauvain salue le roi Arthur, son oncle, et s’empresse de prendre des nouvelles du chevalier Lancelot.

« Comment ? Mais je croyais qu’il était avec vous. »

C’est alors qu’il comprend qu’il s’est fait blouser.

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Il y a à la cour quelques jeunes filles craignant de le rester. Madame de Noauz et madame de Pomelogoi décident d’organiser un tournoi dont le premier prix serait la main d’une de ces demoiselles. Guenièvre est cordialement invitée à y assister.

La nouvelle de la manifestation se répand jusqu’à l’infâme Méléagant qui tient Lancelot prisonnier. Lancelot, qui aurait bien voulu y participer se sent pris d’un gros coup de cancrelat.

La femme du sénéchal, serviteur de Méléagant, ayant remarqué la tristesse du chevalier, lui demande ce qui ne va pas.

« Si seulement je pouvais avoir une permission, juste le temps d’aller participer au tournoi !

– Si cela ne dépendait que de nous ! Mais il y a le patron. Nous avons peur de représailles. »

Lancelot jure sur les Saintes Reliques que, sitôt le tournoi terminé, il retournera dans sa prison. Alors, non seulement la sénéchale le laisse partir, mais elle lui prête le cheval et l’armure rouge de son mari.

Parvenu à Noauz, il s’installe dans une petite auberge à la campagne pour ne pas être reconnu. Il est pourtant reconnu par un héraut qui passait par là.

« Tu ne dis à personne que tu as vu Lancelot, sinon : couic ! »

En effet, il ne dit à personne qu’il a vu Lancelot, mais il crie à tue-tête : « Voici celui qui aunera. »

Le moment du tournoi arrive. On a sorti le grand jeu : les plus beaux destriers, les plus belles armures, les plus belles épées, les plus belles lances, les plus beaux heaumes, les plus beaux écus.

C’est le tour de Lancelot. Le héraut crie :

« Voyez celui qui aunera ! »

On lui demande :

« Qui est-ce ?

– Vous verrez bien. »

Il en a du beau monde en lice ! Le fils du roi d’Irlande, champion de Bretagne, Governault de Roberic, le fils du roi d’Aragon, Ignaure le Désiré, Cauguillant de Mautriec, Sémiramis, le roi Yder, Piladès, Keu d’Estraus, Taulas du Désert, Thoas le Jeune. Mais Lancelot les surpasse tous. Tout le monde l’applaudit, les jolies femmes tombent en pâmoison.

La seule qui n’est pas contente, c’est Guenièvre. Si son chevalier de cœur remporte le tournoi, il va être obligé de se marier. Elle lui envoie une de ses suivantes avec ce message :

« Au plus mal.

– Au plumard ? Mon Dieu ! notre pauvre reine serait-elle souffrante ?

– Mais non ! Je n’ai pas dit “au plumard”, j’ai dit “au plus mal”.

– Au plus mal ? Vous voulez dire que notre chère Guenièvre est à l’article de la mort ?

– Vous avez du brin dans les oreilles ou quoi ? J’ai dit : “au plus mal : au-plus-mal”.

– Ah ! vous voulez dire : “au plus mal” ? »

Lancelot soupire :

« Faut-il que je l’aime, cette petite chipie ! »

Le héros semble avoir perdu tous ses moyens. Il rate son coup, lâche sa lance, donne des coups d’épée dans le vide, tombe de cheval, s’enfuit en courant. Les ovations font place aux huées. On ne parle plus que de ce chevalier à l’armure rutilante qui, après s’être couvert de gloire, s’est couvert de honte et de ridicule. C’est tout de même la deuxième fois que Lancelot se traîne dans la boue par amour pour sa blonde. Au fait, je l’imagine blonde, mais je n’en sais rien.

Le jeune homme qui n’arrêtait pas de crier : « Voici celui qui les aunera tous, » se fait tout petit dans son coin. On ne l’entend plus.

Le lendemain, tout le monde est prêt à reprendre les joutes, sauf Lancelot, et Guenièvre s’inquiète de ne pas le voir – tu m’étonnes ! –

Elle demande à sa suivante de se débrouiller pour retrouver le chevalier et de lui dire à nouveau : « au plus mal ».

La jeune fille parvient à retrouver Lancelot et lui délivre le message.

« Puisqu’elle l’ordonne, j’obéirai, » dit-il.

Et le voilà qui repart en lice, à la grande stupéfaction des autres chevaliers qui étaient certains de ne jamais plus le revoir. Et ils recommencent à le conspuer.

La journée commence aussi mal pour Lancelot que la veille s’est achevée. La reine est à présent convaincue qu’il l’aime au point de tout accepter. Elle lui envoie sa jeune servante avec un autre message : « combattez au mieux ».

Voilà notre Lancelot remonté comme une horloge comtoise. Son épée vole dans tous les sens, le fils du roi d’Irlande, ne fait plus le malin, les autres non plus. C’est du Lancelot, du grand, du vrai, du fort.

Le jeune héraut sort de son trou : « Je vous l’avais bien dit : c’est lui qui va se couvrir de gloire. »

Les filles se crêpent le chignon sous leurs cornettes.

Comme il ne veut épouser aucune d’elle, il file à l’anglaise, d’autant plus qu’il a fait serment de retourner en prison au pays de Gorre.

Le vrai vainqueur de ce tournoi, c’est Guenièvre.

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De retour de voyage, le sénéchal s’inquiète :

« Ma biche, tu n’as pas mon armure ? Je l’avais laissée dans la penderie. Et Lancelot ? Où est-il cet animal ? Ah ! j’ai compris ! Ce salopard s’est évadé, et en plus il m’a piqué mon armure !

– Ne t’énerve pas, mon biquet ! C’est moi qui lui ai donné son ouiquende, juste le temps d’aller à un tournoi à Camelot. Et je lui ai prêté ton armure pour qu’il n’ait pas l’air d’un plouc.

– Tu t’es bien fait avoir ! Il va revenir ! compte là-dessus ! Et je peux dire adieu à mon armure ! Et Méléagant ! Il va me tuer. On est mal ! on est mal !

– Tu t’en fais pour rien, mon gros canard. Il va revenir avec ton armure. Je lui ai fait jurer sur les Saintes Reliques.

– Ah ! s’il a juré sur les Reliques, évidemment. »

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Lancelot a tenu sa parole. La date du combat approche, Méléagant, qui a peur de recevoir la dégelée du siècle, a fait construire dans le plus grand secret une tour sur une île. Quand elle est achevée, toujours en loucedé, il y enferme Lancelot et fait murer la porte, ne laissant qu’une petite fenêtre pour qu’on y puisse passer sa nourriture. Puis il se rend à Camelot au triple galop.

« Il n’est pas là, Lancelot ?

– Ben non, il n’est pas encore arrivé.

– À mon avis, il ne viendra pas. Il a trop peur de s’en prendre une. S’il ne vient pas, je suis déclaré vainqueur par forfait, et je récupère la reine.

– S’il ne vient pas, » rétorque Gauvain, « c’est qu’il a été tué au combat ou qu’il est prisonnier on ne sait où. Dans ce cas, c’est moi qui le représente, je te colle une raclée, et tu rentres tout seul au royaume de Gorre. »

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On ne vous en a jamais parlé, mais Méléagant a une petite sœur, un vrai garçon manqué.

Elle décide de partir à la recherche de Lancelot. Cavalière émérite, elle chevauche par tout le royaume, au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, par monts, par vaux, dans les villes et les villages, inspectant les fermes et les granges : pas de Lancelot.

Au bout d’un mois de recherches infructueuses, découragée, épuisée, elle va se résoudre, la mort dans l’âme, à faire demi-tour. Elle fait un détour par la côte, aperçoit, au loin, une tour sinistre sur une île, dans un bras de mer. Elle a comme une intuition, elle attend la marée basse pour traverser avec son cheval. Elle parvient au pied de la tour.

« » Y a quelqu’un ? »

Pas de réponse. Elle colle son oreille sur la pierre ; elle entend des lamentations.

« Seigneur ! Que t’ai-je fait pour mériter ce sort si cruel ? Et Gauvain ? Qu’est-ce qu’il attend pour venir me délivrer, celui-là ? Ah ! on peut compter sur les copains, tiens ! »

Elle appelle :

« Lancelot ? Vous êtes là ? »

À force de s’égosiller, elle finit par se faire entendre, malgré l’épaisseur des murs.

En dépit de sa faiblesse, Lancelot parvient à se hisser à la lucarne et voit la princesse qui l’appelle.

« Lancelot ? Vous vous souvenez de moi ?

– Non, pas vraiment.

– Rappelez-vous, vous m’avez un jour offert un merveilleux cadeau ?

– Un cadeau ? À vous ? Non, décidément, ça ne me dit rien. Quel genre de cadeau ?

– La tête de mon ennemi.

– Ah oui ! Maintenant que vous me le dites, ça me revient. Je reconnais votre cheval.

– Alors, à charge de revanche, je suis venue vous délivrer.

– Ça, c’est sympa. »

Plus facile à dire qu’à faire ! La princesse n’a que ses mains pour desceller les pierres, heureusement, elle finit par trouver une barre à mine. Elle parvient à agrandir la lucarne et délivrer le prisonnier.

Je ne vous raconte pas la joie de Lancelot ! Mais il est tant affaibli par sa captivité qu’il ne peut plus mettre un pied devant l’autre. La jeune princesse, qui a de bons biscoteaux, le hisse sur sa monture, et les voilà partis, chevauchant à travers bois et guérets, évitant les villages pour éviter de se faire repérer, jusqu’à sa résidence secondaire. Voici donc l’aventurière devenue infirmière. Elle va soigner son protégé jusqu’à ce qu’il ait retrouvé sa forme olympique.

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Après avoir fort galamment remercié sa salvatrice, Lancelot saute sur un magnifique pur-sang qu’elle lui a offert, et galope vers Camelot (ou Camelotte, ou Caamelot, ou Camaalot, ou Kaamelott, ou Camelo, ou Kameled, ou Camaret). Maintenant, Méléagant, ça va être ta fête !

Et justement, chez Arthur, comme convenu, la lutte se prépare. Les deux antagonistes sont déjà en lice, prêts à en découdre, quand on voit au loin apparaître un cavalier bien pressé. C’est Lancelot.

Joie des retrouvailles.

Le seul qui n’est pas content, on s’en doute, c’est le scélérat, l’infâme, l’abject, l’immonde, le turpide, l’ignoble, l’innommable, le traître Méléagant.

« Comment a-t-il fait pour s’en sortir ? J’avais pourtant bien fermé la porte à clef. D’ailleurs il n’y a pas de porte. Il y a eu un tremblement de terre, ou alors quelqu’un l’a délivré. Si je le tenais, celui-là ! »

Arthur les conduit vers la plus belle des prairies du royaume pour le plus beau des combats.

Nos deux guerriers sont face à face à une portée d’arc.

« À nous deux, félon ! » crie Lancelot.

Tataclop ! tataclop ! tataclop ! Bing !

Et ça cogne ! et ça castagne ! et ça bastonne ! et ça s’étrille ! et ça dérouille !

Non seulement les cavaliers à terre, mais les chevaux, eux aussi, se mordent et rue l’un contre l’autre.

Les heaumes et les écus sont tout cabossés.

Je vous fais grâce des détails sanglants. Finalement, Lancelot coupe la tête de Méléagant. Bien fait pour lui !

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C’est le Sieur Godefroi de Leigni, avec l’accord de Chrétien de Troyes qui rédigea la fin de l’histoire, depuis l’emmurement de Lancelot.

Ainsi s’achève le ROMAN DE LANCELOT DE LA CHARRETTE (en capitales dans l’original).



[1] Je ne suis pas sûr que tout le monde ait compris le jeu de mot : Brabançon, habitant du Brabant, Hennuyer, habitant du Hainaut.

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