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Acte IV

ACTE IV

Samarie, une place publique.

Scène première

ÉLISÉE – GUÉHAZI – JORAM

ÉLISÉE

Que vois-tu, Guéhazi ?

GUÉHAZI

                                   Je vois, couvert de cendre

Et l’habit déchiré vers la ville descendre,

Un épais sac de chanvre en guise de cercueil,

La mort en lui Joram porte son propre deuil.

ÉLISÉE

Quel est donc le fardeau qui l’écrase et l’accable ?

Des idoles enfin s’est-il trouvé coupable ?

GUÉHAZI

Il vient à toi, mon maître, il veut te rencontrer.

ÉLISÉE

Pour quel écart encore me veut-il arbitrer ?

JORAM

Te voici, Élisée, diseur de prophéties.

ÉLISÉE

Pour te servir, Joram. Quel chagrin te soucie ?

JORAM

Tu es un grand prophète et ne peux deviner ?

ÉLISÉE

Laisse-moi simplement ton cas examiner.

Je sais, le Syrien encor te met en peine.

 

 

JORAM

Le Syrien me pousse au fond de la Géhenne.

Il menvoie Naaman, le plus grand général

Armé d’une missive pour me pousser à mal…

Sais-tu que Ben-Hadad en cette infâme prose

– Pour la perversité, cet homme est virtuose… –

ÉLISÉE

Le fameux général est devenu lépreux.

En quête de salut vers le roi des Hébreux

Naaman s’est tourné, t’apportant sa requête.

JORAM

Comment sais-tu cela ?

ÉLISÉE

                                   Ne suis-je pas prophète ?

JORAM

Que ferai-je à cette heure ?

ÉLISÉE

                                         Guéris-le, mon bon roi.

Puisqu’on te fait l’honneur de l’envoyer chez toi.

JORAM

Voilà donc le conseil que tu trouves à dire

Quand l’ennemi s’apprête à dévaster l’empire,

Quand la Syrie est prête à briser Israël.

Quel ordre pour ma part t’a donné l’Éternel ?

Déjà de Ben-Hadad nous sommes la risée.

Que ferons-nous alors ? Réponds-moi, Élisée.

ÉLISÉE

Devais-tu donc, rempli de rage et de dépit,

Te coiffer de poussière, déchirer ton habit ?

Les desseins du Seigneur tu ne veux pas comprendre

Et tu ne sais jamais le parti qu’il faut prendre.

As-tu laissé cet homme s’éloigner sans espoir ?

Naaman aurait dû me trouver et me voir.

Vers moi seul ton conseil aurait dû le conduire ;

Auprès de l’Éternel il fallait l’introduire ;

Sous mon toit je l’aurais accueilli volontiers,

Et je l’aurais guéri. À chacun son métier.

Va en paix maintenant jusqu’à ta chambre haute.

Je vais chercher ton homme et réparer ta faute.

Scène II

ÉLISÉE – GUÉHAZI

GUÉHAZI

Que faire maintenant pour sauver Naaman ?

ÉLISÉE

Le roi de son palais l’a chassé plaisamment.

Joram est un monarque à la triste figure,

Il n’a part à l’Esprit ni aux saintes augures.

Où trouver, selon toi, le lépreux général ?

GUÉHAZI

Il est rentré chez lui, et ça m’est bien égal.

Il retourne à Damas, et sans aucune pompe.

Nous classons son affaire.

ÉLISÉE

                                       Ghéhazi, tu te trompes,

Cette affaire est la tienne, ce défi est le tien.

GUÉHAZI

Explique-moi, Seigneur, je ne comprends pas bien.

ÉLISÉE

Naaman, le lépreux, toujours à Samarie,

– Son mal et son échec vraiment le contrarient –

S’égare dans nos rues, d’une méchante humeur,

Abandonnant l’espoir de guérir sa tumeur.

Notre Dieu m’a donné cette nuit ce message :

Je ne lui rendrai, moi, ni honneur ni hommage.

Je n’irai pas vers lui, ne le recevrai pas,

De son rang élevé ne ferai aucun cas,

Mais je t’envoie vers lui. Croise-le sur sa route.

Je lui donne cet ordre, il faudra qu’il t’écoute :

S’en retournant chez lui, franchissant le Jourdain,

S’il désire en Syrie paraître pur et sain,

Sept fois se plongera. C’est ce que Dieu réclame.

Il guérira son corps et sauvera son âme.

Adonaï a choisi d’en faire son enfant.

Il a de beaux projets pour notre Naaman.

Surtout ne tarde pas, trouve-le, va-t’en vite.

De ta célérité dépend la réussite.

GUÉHAZI

Je m’en vais sur-le-champ.

ÉLISÉE

                                        Oh ! J’allais oublier !

Il croit que le salut se peut négocier :

D’or, d’argent, de manteaux il a chargé ses mules,

Car c’est en talents d’or que notre ami calcule.

Il en offrira dix pour prix de sa santé.

Il nous est clairement défendu d’accepter

Quelque terrestre don pour le divin service.

Dieu seul nous rétribue pour notre saint office.

Cours donc vers ta mission et ne perds plus de temps.

Naaman est tout proche et déjà il t’attend.

Scène III

GUÉHAZI

Dix talents d’or ! voilà une fort belle somme !

Quel immense trésor doit posséder cet homme !

Pourquoi dans sa grandeur Dieu a-t-il décidé

Que les princes et rois puissent tout posséder

Tandis que sans espoir, vagabonds sur la terre,

D’autres traînent leur vie de misère en misère ?

Combien j’aurais aimé vivre parmi les grands,

Avoir des domestiques, les traiter en tyran,

Incliner sous ma loi les puissants de ce monde.

Mais je ne suis, hélas, qu’un serviteur immonde.

Dieu m’a formé ainsi, et c’est bien affligeant,

Un cupide valet aimant l’or et l’argent.

Alors que mon saint maître en tout temps prophétise,

Guéhazi se complaît avec sa convoitise.

Pour accepter un don mon maître est trop pieux,

Son salaire et son pain lui descendent des cieux.

D’une miche rassise il sait se satisfaire.

Au luxe des palais, sa paillasse il préfère.

Je ne suis ni prophète, ni sacrificateur,

Et dans l’agent gagné je trouve du bonheur.

Si Élisée rechigne et refuse un salaire,

L’argent de Naaman ne saurait me déplaire.

Comment dans ma cassette un bienheureux transfert

Par ce riche étranger me pourrait être offert ?

Comment le dérober ? Tant de soldats l’entourent

Et pour les affronter me manque la bravoure.

Et que dirais-je au maître ? Non, il me faut ruser.

Par quel heureux mensonge pourrais-je l’abuser ?

Mais servons-lui d’abord du prophète Élisée

Le message divin en lettres bien pesées.

Où est ce Syrien ? Comment le rencontrer ?

Quelle est son apparence ? Qui peut me le montrer ?

Allons de par les rues chercher cette personne.

La ville est étendue. Le maître en a de bonnes !

 

 

Scène IV

NAAMAN – LÉA

LÉA

Regarde, Naaman, ce pays merveilleux,

Fais de cette contrée le plaisir de tes yeux.

Tu es chez moi, Seigneur, tu es à Samarie.

Oh ! Maître ! Quel bonheur ! tout en moi chante et rie.

Mon Dieu m’a exaucée, me voici de retour.

Voici ma ville aimée, ses remparts et ses tours.

Enfant, mes pieds sautaient et dansaient dans ses rues.

La fille est enlevée, la danse disparue.

Ô terre d’Israël, comment ne pas t’aimer ?

Qui peut de tes beautés ne pas être charmé ?

Tes oliviers, ton huile pure et si onctueuse,

Tes melons gorgés d’eau, tes figues savoureuses,

Vignes au bois noueux promettant du bon vin,

Grappes sucrées mûries sous le soleil divin.

N’entends-tu pas le vent sur les toits qui m’appelle

Et crie mon nom : « Léa ! » Dieu ! Que la vie est belle

Quand on retrouve enfin ces briques et ces murs !

Quand du pays rêvé l’on respire l’air pur !

Regarde ces balcons, regarde ces fenêtres.

La chaleur des foyers réchauffe tout mon être.

Oui, c’est le beau pays que Dieu nous a donné,

Qu’aux Hébreux indociles il avait destiné.

C’est ici Canaan, c’est la terre promise

Qu’à son peuple fidèle Adonaï a remise.

C’est le pays offert au peuple d’Israël

Où coule en abondance le lait comme le miel.

NAAMAN

Du pays de Joram c’est donc la capitale !

Les rues y sont étroites et les maisons banales.

LÉA

Comment ? Tu n’aimes pas la superbe cité ?

Tu as le goût bien difficile en vérité !

NAAMAN

Je languis de Damas en voyant ce village

Et veux de l’Amama retrouver le rivage.

Les Hébreux ne sont pas un peuple bâtisseur

Et dans l’art de construire je suis un connaisseur.

Tout est fait de travers, les rues sont tortueuses,

Et je ne trouve pas de places somptueuses,

Les demeures sont basses et l’on dort sur les toits.

Oui, je rebâtirais si j’étais votre roi.

Tout d’abord j’abattrais ces maisons délabrées,

J’offrirai la lumière à ces rues encombrées.

J’érigerais partout colonne et chapiteau,

Et sur cette colline construirais mon château.

Je percerais partout de larges avenues,

Des rangées de platanes aux lignes continues.

Je verrais des fontaines à chaque carrefour

Dont l’eau resplendirait aux lumières du jour.

Mais, regarde, ma plaie s’est encore aggravée.

Il est temps de trouver ce fameux Élisée.

Il ne faut plus attendre, cherchons-le maintenant.

Je sens se déchausser mes ongles et mes dents.

LÉA

Élisée n’est pas loin, ne perds pas ton courage,

Guéri tu rentreras au bout de ce voyage.

NAAMAN

Encore faudrait-il qu’on le puisse trouver !

Cette attente, il est vrai, commence à m’énerver.

Ne suis-je pas moi-même un hôte d’importance ?

Et ton ami me traite avec indifférence.

Le bougre ignore-t-il que je suis général ?

Ne suis-je donc pour lui qu’un patient banal

Et ne devrait-il pas, le noble patriarche,

Afin de m’honorer déjà se mettre en marche ?

Ton pays est vraiment de rustres accomplis

Et de sombres goujats comme une outre rempli !

Un homme tel que moi ne devrait pas attendre

Et quand je le verrai sais-tu qu’il va m’entendre ?

LÉA

Je retrouve à nouveau ton ingérable humeur !

N’est-ce pas au seul Dieu que l’on doit tout honneur ?

Et n’es-tu pas l’objet de la grâce divine ?

C’est lui qui te conduit, c’est lui qui te destine

À trouver en son nom le salut glorieux.

C’est lui qui vient vers toi. Tu devrais être heureux.

Mais il connaît aussi ton orgueil, ô bon maître,

Et c’est l’humiliation qu’il te fera connaître.

Abandonne-toi donc dans les bras de mon Dieu.

Scène V

NAAMAN – LÉA – GUÉHAZI

GUÉHAZI

Combien me faudra-t-il encor fouiller ces lieux ?

(apercevant Naaman et Léa)

Quel est cet étranger à la si noble allure 

Flanqué d’une servante à la belle figure ?

Ne serait-ce pas lui ?

LÉA

                              Regarde, l’on nous suit.

GUÉHAZI

N’est-ce pas le Seigneur qui vers eux me conduit ?

Que je le trouve enfin ! Ma jambe est épuisée.

 

 

NAAMAN (à Guéhazi)

Holà ! Connaissez-vous le prophète Élisée ?

GUÉHAZI

Je le connais fort bien, étant son serviteur.

Vous-même, de Syrie célèbre protecteur,

Le fameux Naaman n’êtes-vous en personne ?

NAAMAN

Je le suis en effet, l’intuition est bonne.

GUÉHAZI

Mon maître, le prophète, m’a vers vous dirigé

Et je vous trouve enfin, me voici soulagé.

Élisée m’a chargé pour vous de ce message…

LÉA

Étrange impression, je vois sur ce visage

Un lugubre sourire, un inquiétant regard,

La fourberie cachée sous la poudre et le fard.

Quel est ce sentiment ? N’ai-je pas de justice ?

Ne vois-je autour de moi que pervers artifices ?

NAAMAN (à Guéhazi)

Je vous écoute.

GUÉHAZI

                       Ainsi parle l’homme de Dieu…

LÉA

Je lui trouve vraiment un aspect odieux.

GUÉHAZI

Va-t’en vers le Jourdain et rends-toi sur sa rive…

LÉA

Je crains qu’avec cet homme quelque malheur n’arrive.

GUÉHAZI

Ta guérison requiert un seul acte de foi :

Dans les eaux de ce fleuve immerge-toi sept fois.

NAAMAN

C’est tout ?

GUÉHAZI

                 C’est tout.

NAAMAN

                               Ah ! non ! C’est un peu court, jeune

 homme

Et j’avais attendu d’autres choses en somme.

Un homme tel que moi est en droit d’espérer

Qu’un serviteur de Dieu daigne, pour l’honorer,

Venir à sa rencontre et s’engage en personne.

Mais à son serviteur Élisée m’abandonne.

Pour un grand général n’a-t-il donc point d’égard,

De salutation et pas même un regard ?

Suis-je dans ce pays un homme qu’on méprise ?

Ma réputation n’a-t-elle aucune emprise ?

Ou bien la maladie du pauvre Naaman,

Sa lèpre au front hideux, son horrible tourment

De la contagion lui donne-t-elle à craindre ?

Sans contestation j’ai grand lieu de me plaindre.

Je pensais que vêtu de somptueux habits

Chez lui m’accueillerait le célèbre rabbi,

Qu’il organiserait quelque cérémonie

Avec chœurs et orchestre en parfaite harmonie,

Qu’en un rite parfait les sacrificateurs

S’uniraient avec lui, psalmodiant en chœur,

Célébreraient à Dieu un culte magnifique

Et selon les versets de la loi judaïque.

Je croyais qu’imposant ses mains sur le lépreux,

Il aurait invoqué le beau nom de son Dieu.

Alors en un instant et comme par magie

De Naaman la lèpre aurait été guérie.

 

 

LÉA

Un tel faste, ô cher maître, ne servirait à rien.

Obéis au prophète, il ne veut que ton bien.

GUÉHAZI

Jusqu’aux bords du Jourdain je serai votre guide.

LÉA (bas, à Naaman)

Méfie-toi du valet, c’est un homme perfide.

(à Guéhazi)

Nous te remercions, l’ami, nous aimons mieux

Voyager sans escorte.

GUÉHAZI

                                   Holà ! Mon Dieu ! Mon Dieu !

A-t-on jamais connu esclave si rebelle !

De quel droit pour son maître ainsi décide-t-elle ?

LÉA

L’esclave doit se taire. Je connais la chanson !

NAAMAN

L’idée est approuvée, je crois qu’elle a raison.

La proposition est aimable sans doute,

Mais jusqu’à ce Jourdain nous trouverons la route.

GUÉHAZI (à part)

Peste soit de la fille ! Elle brise mon plan.

Il me faudra pourtant suivre ce Naaman.

Scène VI

NAAMAN – LÉA

NAAMAN

Allons ! J’en ai assez. Retournons en Syrie.

Je ne guérirai point et j’y perdrai la vie.

LÉA

Maître, cesseras-tu enfin de répéter

Ces torrents de sottises et d’imbécillités ?

Élisée t’a montré quel était le remède.

Saisis la guérison, c’est toi qui la possèdes.

NAAMAN

Non. Rentrons en Syrie !

LÉA

                                   Que cet homme est têtu !

La promesse de Dieu, et la foi, qu’en fais-tu ?

NAAMAN

Je n’ai aucune foi. Retournons en Syrie.

Du coquin le remède est une tromperie.

Sept fois dans le Jourdain ! Je vous demande un peu !

Retournons en Syrie. Je suis las de ce jeu

Et n’ai plus rien à faire ici, à Samarie.

J’ai perdu tout espoir, mon âme en est marrie.

LÉA

Retournons en Syrie. Le départ n’est pas vain.

La route du retour traverse le Jourdain.

J’y connais une plage avec une cascade ;

Nous en profiterons pour y faire baignade.

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