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Acte III

ACTE III

Samarie, le palais du roi.

Scène première

JORAM – JOSAPHAT

JOSAPHAT

Joram, quelle victoire ! Quelle belle aventure ![1]

Ne vois-tu pas de Dieu la noble signature ?

JORAM

Ennemis politiques et cependant amis,

Josaphat, il est vrai, nous nous sommes unis

Avec le roi d’Edom contre les Moabites,

Nous avons pourchassé leur révolte subite.

JOSAPHAT

Dans cette guerre obscure et ce combat pressant,

Reconnais, roi Joran, le bras du Tout-Puissant.

JORAM

La bataille, il est vrai, me paraît peu commune,

L’Éternel s’est levé contre toute fortune.

JOSAPHAT

Pendant que sur la place un harpiste jouait,

Inspiré par l’Esprit le prophète annonçait :

« Creusez partout des fosses, creusez dans la vallée. »

C’est ainsi que parlait le prophète Élisée.

« L’aride sécheresse aussitôt cessera ;

Et l’œuvre de vos mains de flots se remplira. »

Le peuple obéissant se soumit à l’ouvrage.

Alimentés des pluies d’un effrayant orage,

Les fossés furent pleins. Le soleil se leva,

 

D’un reflet cramoisi l’eau claire flamboya.

Du pays de Moab la nation aveuglée

Crut voir dans le lointain la plaine ensanglantée.

Pensant que l’ennemi s’était entretué,

Certains de la victoire sur nous se sont rués,

Mais nos soldats campaient tous solides et fermes,

Ainsi cette bataille a couru un court terme.

JORAM

Voilà notre courage enfin récompensé !

Mais par cet Élisée je me sens offensé.

Toi seul, roi Josaphat, il respecte et vénère

Tandis qu’il me décoche des paroles amères.

De son irrévérence mon orgueil est flétri.

Est-ce de l’Éternel que lui vient ce mépris ?

JOSAPHAT

Tu le sais bien, Joram, faut-il te le redire ?

Semblable aux anciens rois, que dis-je, toujours pire,

Tu as abandonné la crainte de ton Dieu

Et fais des onctions au faîte des pieux.

Du divin créateur écarte la colère,

Abandonne pour lui l’idole de tes pères.

Abandonne les veaux de Dan et de Béthel

Et ramène à la foi ton peuple d’Israël.

JORAM

Il me convient à moi de servir les Aschères

Et la Reine des Cieux parmi les dieux m’est chère.

Il est vrai qu’Élisée, ce prêcheur de discours

À réformer ma vie m’exhorte chaque jour.

Ne craint-il point la mort, ce prophète indocile ?

Le forcer à se taire me serait bien facile.

 

 

JOSAPHAT

Éloigne-toi toujours de la vraie piété !

JORAM

D’autres soucis attisent mon anxiété :

Le Syrien toujours m’oppresse et me menace.

Et nul ne peut dompter cet ennemi tenace.

Vaincu par maintes fois, mais jamais terrassé,

Frappant comme un bélier mon royaume harassé,

Contre lui la victoire jamais réalisée.

Qui nous délivrera ?

JOSAPHAT

                              Va trouver Élisée.

Scène II

JORAM – JOSAPHAT – UN SERVITEUR

JORAM

Que nous veut cet esclave importun ?

LE SERVITEUR

                                                         Mon Seigneur.

Un noble Syrien revendique l’honneur

De paraître à vos yeux, Sire, avec insistance

Et de votre entrevue demande l’audience.

JORAM

Par hasard nous parlons de ces maudits voisins.

À quelle fin, pourquoi veut-il un entretien ?

Qui est-il ?

LE SERVITEUR

                Naaman, général des armées.

Chargé d’une missive avec lui amenée

Il veut vous faire part.

JORAM

                                Je suis embarrassé.

De déclarer la guerre Damas est empressé !

(Au serviteur.)

T’a-t-il donc informé ? Sais-tu ce qu’il désire ?

LE SERVITEUR

Naaman, mon Seigneur, n’a rien daigné me dire.

JORAM (à Josaphat)

Laisse-moi te conduire à tes appartements,

Et puis je recevrai ce fâcheux Naaman.

Scène III

NAAMAN – LÉA

NAAMAN

Nous voici parvenus dans cette forteresse ;

De rencontrer ton roi l’attente enfin me presse.

J’ai l’épître sur moi, et quand il la lira,

Il saura que mon prince, le puissant magistrat

L’enjoint d’intervenir. Oui, Ben-Hadad ordonne

Que ce piètre vassal obéisse en personne.

LÉA

Vassal ! Mon beau pays est-il déjà conquis ?

Les peuples de la mer as-tu déjà soumis ?

Crois-tu que ton orgueil soit une vertu rare

Pour que dans le mépris ton fol esprit s’égare ?

Oui, comme un conquérant marchant dans ce pays,

Des villes et des gens sans cesse tu médis,

De la table et du lit ne cesses de te plaindre.

De village en hameau toujours t’entendre geindre !

Le soleil est trop chaud, les mulets sont trop lents.

Nul ne vaut ton Damas où tout est excellent.

Tout ici te déplaît. O souffre que j’en rie :

Les cailloux du chemin sont moins beaux qu’en Syrie.

 

 

NAAMAN

Cette piste exécrable a mon corps fatigué.

Abstiens-toi, je te prie, Léa, de me narguer.

Je ne suis pas d’humeur…

LÉA

                                        Pour moi aussi la route

Fut longue et difficile, et je pourrais sans doute

Me plaindre autant que toi. Je ne suis pas soldat,

Façonnée pour la guerre et rodée au combat.

Mes jambes et mon dos sont brisés par la selle.

NAAMAN

C’est toi qui as voulu me suivre, jouvencelle !

LÉA

C’est moi qui t’ai guidé jusqu’au palais royal.

NAAMAN

C’est toi qui m’as mené avec ce plan génial.

N’y a-t-il pas un seul guérisseur dans ma ville ?

LÉA

Discuter avec toi n’est que peine inutile.

NAAMAN

Ne boude pas, Léa.

LÉA

                              Je ne te parle plus.

D’une esclave après tout les mots sont superflus.

NAAMAN

Ne boude pas, Léa. Je suis un militaire

Zélé pour l’action et prompt à la colère,

Rapide pour frapper mais lent à raisonner.

J’ai parlé vivement, veux-tu me pardonner ?

LÉA

Bien sûr, mon grand nigaud. Nous voilà sur la place.

Accroche, s’il te plaît un sourire à ta face.

Le roi Joram ici daigne te recevoir.

NAAMAN

Bien sûr, il est ici. C’est lui mon seul espoir.

Il saura me guérir de cette plaie funeste.

LÉA

Il ne guérira pas.

NAAMAN

                         Comment ? Petite peste !

N’as-tu pas entendu les paroles du roi ?

LÉA

N’as-tu pas écouté ce que je t’ai dit, moi ?

NAAMAN

Mais tu n’es qu’une esclave ! De Ben-Hadad l’épître…

LÉA

Voici un général aimant jouer le pitre.

NAAMAN

Il suffit, maintenant !

LÉA

                               Je me tais. Je me tais.

Agis selon ta guise, tu seras satisfait.

NAAMAN

Je ne suis qu’un soudard. Je t’ai encor blessée.

LÉA

Laisse-moi librement t’exprimer ma pensée :

Sur terre un roi peut-il délivrer ou guérir ?

Est-il plus qu’un humain destiné à périr ?

Dieu détient le pouvoir sur la mort et la vie,

Mets ton espoir en lui, maître, je t’y convie.

D’ailleurs, le roi Joram ne craint pas le vrai Dieu.

Les dieux de Jézabel sont l’objet de ses vœux.

Il irrite Adonaï par son idolâtrie

Et dans un vil péché conduit notre patrie.

NAAMAN

Mais… La lettre ?

LÉA

                         Joram ne te guérira point.

Il fallait m’écouter.

NAAMAN

                         Léa…

LÉA

                                   Un autre point.

Crains-tu que les bienfaits de Dieu se négocient ?

NAAMAN

Mais, Léa…

LÉA

                   Te faut-il, pour ta diplomatie

Tous ces mulets chargés de pièces, de talents ?

Ta guérison veux-tu monnayer en argent ?

NAAMAN

Mais, Léa…

LÉA

                   Sans parler de toutes les soieries,

Fallait-il s’encombrer de ces tapisseries ?

NAAMAN

Léa…

LÉA

            Ne crains-tu pas la foule des brigands ?

NAAMAN

Non. Ce sont les voleurs qui craignent Naaman.

LÉA

Soit. Mais je t’avertis : aucun bien de la terre

Pour corrompre le Ciel ne sera salutaire.

NAAMAN

Enfin, Léa…

LÉA

                    Sois prêt. Voici venir le roi.

Défends bien ta couleur. Moi, je prierai pour toi.

Joram, espère-le, donnera un bon signe.

Mon rang social ici rend ma présence indigne.

Scène IV

NAAMAN – JORAM

JORAM

Envoyé de Syrie, je suis à toi.

NAAMAN

                                            La paix

Soit sur toi, roi Joram, et qu’un bonheur parfait

De Rimmon soit le don sur ta magnificence.

JORAM

Laissons tout protocole et toute bienséance

Et venons-en au fait ! Enfin, je vois entrer

Un soldat syrien, ennemi déclaré,

Dans mon palais royal. Que me vaut  ta visite ?

Et que veut ta présence en terre israélite ?

Ton roi ne veut-il pas chercher quelque conflit ?

N’est-il pas contre moi de querelles rempli ?

NAAMAN

Sire, je suis armé de pensées pacifiques

Et non point animé de desseins politiques.

Je ne veux nullement t’inquiéter, grand roi.

Mon maître Ben-Hadad m’a envoyé vers toi ;

En main propre au Seigneur de la nation juive

Je dois sans plus tarder remettre une missive.

 

 

JORAM

Que dit-elle ? Voyons…

(Il lit la lettre que lui donne Naaman.)

                                   « Ben-Hadad, empereur

De Damas, à Joram, puissant maître et seigneur,

Despote d’Israël et de la Samarie.

Je t’envoie Naaman, général de Syrie

Afin que, par tes soins, mon serviteur soumis

Des sa lèpre bientôt me revienne guéri. »

Par tous les dieux ! Quelle est cette bouffonnerie ?

Je goûte sans plaisir votre plaisanterie.

De Joram d’Israël ose-t-on se moquer ?

Ton roi dans ma maison veut-il me provoquer ?

Qui suis-je en ce bas lieu pour y sauver un homme ?

Souverains sans pouvoir, voilà ce que nous sommes.

Me prend-il pour un dieu capable de guérir ?

De rage le coquin veut-il me voir mourir ?

Car j’ai vu en régnant bien des sujets de guerre

Mais semblable à ceci je n’en ai connu guère.

Manque-t-il de courage pour me charger de front

Qu’il use devant moi d’un procédé félon ?

Je ne tolère pas d’un si piètre stratège

Qu’il me tende aujourd’hui ce ridicule piège.

Dans de si gros filets veut-il me capturer ?

L’écartement des mailles a-t-il bien mesuré ?

Repars vers la Syrie et va dire à ton maître

Que je ne puis donner bonne suite à sa lettre :

Les dieux ne m’ont donné le don de guérison.

Son initiative égare la raison.

Bon voyage à présent, qu’Aschéra te bénisse.

NAAMAN

De Rimmon les bienfaits sur ton chef s’accomplissent.

Scène V

NAAMAN – LÉA

NAAMAN

Peste soit de Joram ! Minuscule tyran !

Tel un chien recevoir un homme de mon rang !

LÉA (à part)

Voici mon Naaman la face dépitée.

(à Naaman)

J’espère que de joie ton âme est agitée ?

De l’accueil de mon roi te sens-tu satisfait

Et ta lettre sur lui fit-elle bon effet ?

NAAMAN

Nous rentrons à Damas.

LÉA

                                   Alors-là, je m’incline !

Il t’a donc accordé la guérison divine !

Puisse Dieu pardonner mon incrédulité,

Je la veux confesser en pleine humilité.

J’ai péché aujourd’hui par tant de médisance

Et dépose à tes pieds toute ma repentance.

NAAMAN

Tu persifles encore, maudite, épargne-moi.

Oses-tu rire, enfant pervers, du désarroi

Qui me brise et me tue, m’accable et m’humilie.

Prends mon poignard, Léa, et transperce ma vie

Car Naaman ne peut survivre à cet affront :

L’insulte de Joram, la lèpre sur mon front,

Pire encor, le mépris de l’esclave effrontée.

Tue-moi donc maintenant, la mort est méritée.

LÉA

Oserai-je tirer la dague du fourreau ?

Pour écouler ton sang trouve un autre bourreau.

Naaman, mon Seigneur, est un maître bien lâche,

Devant sa destinée rechignant à la tâche.

NAAMAN

Ces mots-là sont de trop, Léa, je te préviens !

Sais-tu quel est mon rang ? Sais-tu quel est le tien ?

Je saurais par les coups punir ton insolence.

LÉA

Le remède à ton mal n’est pas la violence.

NAAMAN

C’est assez palabrer. En Syrie nous rentrons.

Quittons ce lieu maudit sans tambour ni clairon.

Pour suivre ton conseil j’étais bien trop crédule

Et je me suis assez couvert de ridicule.

LÉA

Cesse de trépigner comme un enfant gâté.

NAAMAM

Je…

LÉA

        Tais-toi maintenant et daigne m’écouter.

Je suis lasse, crois-moi, de tes coups de colère,

Fatiguée de tes crises. Vas-tu enfin te taire ?

NAAMAN

Tu me parles à moi comme un maître à son chien !

Je suis chef des armées. Toi, Léa, tu n’es rien.

Crains que de mon épée je me fasse justice.

LÉA

Ma mort suffira-t-elle à ton dernier caprice ?

N’oublie pas qu’en mes mains je tiens ta guérison.

Écoute ta servante et viens à la raison.

NAAMAN

Quoi ?

LÉA

            N’ai-je pas parlé du prophète Élisée ?

Ta guérison déjà serait réalisée

Si tu avais suivi le conseil de Léa

Plutôt que te livrer toi-même aux aléas

D’une diplomatie stupide autant que vaine

Et te laisser leurrer par des ruses mondaines.

NAAMAN

Mais enfin cette lettre aurait dû le toucher !

Ce roi de Samarie est bien mal embouché.

LÉA

Le voilà reparti encore avec sa lettre !

À la sagesse enfin veux-tu bien te soumettre ?

Je te parle du Dieu qui seul peut te guérir.

Il choisit Élisée, désigné pour servir.

Mais toi, maître aveuglé par les gloires humaines

Tu n’as trouvé céans que défaite et que peine.

Tu suis de faux chemins, de faux raisonnements,

Tu te laisses troubler par de creux sentiments.

Faut-il que ta pensée à ton corps asservie

Contraigne ta sagesse à la paralysie.

Ton esprit de soldat ne te mène pas loin.

Beau visage et gros bras, mais de cervelle, point.

 

[1]  2 Rois ch 3

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