Acte III

ACTE III

Même décor.

Scène première

KOUGNONBAF – SABINE

KOUGNONBAF

Pour une fois, vous êtes ponctuelle.

SABINE

Avez-vous apporté ma génisse ?

KOUGNONBAF

Elle vous sera livrée chez vous. Imaginez le scandale que ferait ma fiancée si l’animal venait à bouser sur ce royal tapis du XVIe siècle.

SABINE

Je comprends la situation. Mais ne tardez pas trop.

KOUGNONBAF

Avez-vous du nouveau concernant notre affaire ?

SABINE

Bien sûr. J’ai d’excellentes nouvelles pour vous. Notre Elvire nationale remplit très bien sa mission. Elle m’apporte de précieux renseignements ; une véritable Mata Hari !

KOUGNONBAF

À quoi donc vous sert votre boule de cristal ?

SABINE

Pour le moment ? À rien. Elvire la remplace avantageu-sement.

KOUGNONBAF

Et que voyez-vous dans votre Elvire ?

SABINE

Des choses qui vous réjouiront. Vous ne regretterez pas d’être passé à l’étape bovine.

KOUGNONBAF

Mais encore ?

SABINE

Notre chère Lynda est décidément une pauvre fille bien naïve. Elle est allée se jeter sans pagaie dans les chutes du Niagara.

KOUGNONBAF

Voilà qui me réjouit. Mais j’aimerais un peu plus de détails.

SABINE

Lynda s’est acoquinée avec des voyous de la pire espèce : des trafiquants de drogue, des contrefacteurs, et j’en passe. Sous prétexte de vouloir les convertir à la foi chrétienne, elle s’est convertie à la mafia parisienne.

KOUGNONBAF

Mais c’est merveilleux ! Sabine, nous la tenons !

SABINE

Mais ce n’est pas tout. Cette folle s’est mise dans la tête de protéger des immigrants clandestins : de ces Africains qui parasitent la France comme des courtilières.

KOUGNONBAF

Diable !

SABINE

Elle a même tourné la tête d’un commissaire corrompu dont elle a fait son complice.

KOUGNONBAF

Trop fort !

SABINE

Elle a mis son commissariat à feu et à sang.

KOUGNONBAF

C’est ma pire ennemie, mais je l’admire.

 

 

SABINE

Et c’est à ce stade de l’action que notre Elvire intervient. Elle use en virtuose de la science diabolique que j’ai mise à sa disposition.

KOUGNONBAF

Que fait-elle ?

SABINE

Lynda et sa bande sont allées se cacher dans une ferme isolée à cent cinquante kilomètres de Paris. Mais Elvire a retrouvé leur repère, et elle l’a signalée aux autorités comme une redoutable terroriste. L’élite de la police française est à ses trousses. D’ici quelques jours, que dis-je, quelques heures, vous pourrez annoncer dans votre presse minable qui empoisonne le pays, que Lynda est morte, le corps transpercé par une cinquantaine de balles.

KOUGNONBAF

Encore heureux que la Syldurie ne soit qu’un tout petit pion sur l’échiquier international. Vous imaginez un peu si elle était présidente des États-Unis !

SABINE

Cette bonne nouvelle mérite bien un taureau, camarguais de préférence.

KOUGNONBAF

Vous aurez votre taureau, avec l’arène et le matador qui se placent autour.

SABINE

La Toute-puissance récompensera votre générosité.

KOUGNONBAF

Vive la Syldurie ! Vive le Roi ! Vive Ottokar Premier ! Euh… Pas un mot de tout cela à Éva, bien entendu. Elle me prend toujours pour le charmant prince.

 

 

SABINE

Vous pouvez compter sur ma discrétion.

KOUGNONBAF

Merci. Mais je ne vais pas vous prendre davantage de votre temps. Il me reste des tas de détails à régler. Plus tôt je serai intronisé roi, et plus tôt je serai satisfait.

(Il sort.)

Scène II

SABINE

« Vive Ottokar Premier ! » Pauvre imbécile ! Sombre andouille ! Lamentable crétin ! Crois-tu qu’on se serve de la Toute-puissance comme d’un outil ou comme d’un larbin ? T’imagines-tu, pauvre bougre, que quelques poulets et quelques cochons suffisent à calmer son appétit ? Le prix à payer est bien trop élevé pour toi, mon petit bonhomme ! La Toute-puissance te réclamera ton âme et ton sang. Et d’ailleurs, cela me fend le cœur de m’imaginer que je vais, moi seule, fournir tout le travail, affronter la colère de la famille royale au péril de ma vie, ou du moins de ma liberté, pour que toi, prétentieux marquis, tu te repaisses des marrons que je t’aurai tirés du feu. Tu ne connais donc pas la puissance que tu as invoquée pour te vautrer sur le pouvoir. Ah ! Çà non, mon ami ! J’ai donné à la Toute-puissance ce que je possédais de plus précieux : la place qui m’était réservée dans les lieux célestes. Je me suis totalement soumise à mon maître, et ce n’est pas gracieusement. Espères-tu, marquis, que je me contente d’être rétablie dans mon rôle de Grande Astrologue royale ? J’en désire beaucoup plus, et je maîtrise des pouvoirs qui te sont étrangers. Mi grat aou ti boi, ou sou la coup la bebet.[1] Attends un peu, mon petit marquis ! Tu n’es rien d’autre qu’un moineau dans ma main. Je te caresse les plumes, ça te réchauffe, c’est agréable et doux, mais au moment choisi, mes doigts vont se refermer sur toi, tu seras prisonnier dans mon poing comme dans une cage dont les barreaux de fer vont te broyer. Quand j’ouvrirai à nouveau la main, tu ne seras plus qu’une boule de chair et d’os que je jetterai à terre avec répugnance et que je chasserai loin de moi à coup de pied. Adieu, marquis, oublie tes insolents rêves de pouvoir. La Syldurie devra courber l’épaule sous le joug d’une reine impitoyable : moi, Sabine Première. Lynda voulait faire de ce pays un royaume chrétien, Ottokar un royaume athée, moi, Sabine, je placerai ce pays sous la lumière des ténèbres. Malheur à quiconque refusera de servir la Toute-puissance ? Mais voici Éva. Elle fera moins la fière quand je l’écraserai sous mes bottes. En attendant, c’est elle la patronne. Mieux vaut partir.

(Elle sort par une porte, Éva entre par l’autre.)

Scène III

ÉVA – puis KOUGNONBAF

ÉVA

Un sinistre pressentiment oppresse mon cœur. L’absence de Lynda me pèse cruellement. Je n’ai ni sa détermination, ni sa force. Je me sens terriblement mal à l’aise. Et je sens tout autour de moi la présence de Sabine Mac Affrin, cette redoutable magicienne. Lynda avait beau me prêcher que je suis couverte par le sang de Christ et que les forces des ténèbres ne peuvent rien contre moi… Souvent, je sens les mains de Sabine serrer mon cou. Ah ! Lynda ! Lynda ! Reviens vite, je t’en supplie ! Il n’y a que toi qui possèdes l’autorité sur les forces de ténèbres qui m’entourent. Heureusement, Otto, mon fiancé, me soutient par sa présence, et son amour me réconforte. Pourtant Lynda m’avait préconisé de me méfier de lui. Je crois qu’elle s’est trompée. Ottokar est si doux, si bon envers moi ! Que ferrais-je sans lui ? Mais le voici justement.

(Entre Kougnonbaf.)

KOUGNONBAF

Éva, ma princesse, mon amour !

ÉVA

Ottokar, mon bien aimé, te voici enfin ! Où étais-tu donc ?

KOUGNONBAF

Je suis à la fois désolé et ravi de t’avoir manqué. J’ai été retardé par une conférence de presse. La Syldurie est dans une situation très délicate. Je ne sais pas si je dois t’en parler. Ta sœur Lynda…

ÉVA

Otto, je suis inquiète, j’entends toutes sortes de bruits de cour. Lynda serait en grande difficulté, on dit même qu’elle serait…

KOUGNONBAF

Ma pauvre chérie, je sais que c’est très dur pour toi. Je connais l’amour que tu portes à ta sœur, mais il vaut mieux que tu saches maintenant la vérité, Lynda…

ÉVA

Elle est morte ?

KOUGNONBAF

Lynda a été très imprudente, elle a voulu refaire sa révolution française avant de la faire chez nous. Pourquoi a-t-elle fait cela ? Elle a mené un combat qui n’était pas le sien. Elle s’est mise hors la loi.

ÉVA

Est-elle morte ?

 

 

KOUGNONBAF

J’en suis désolé, ma chère petite Éva. Elle a provoqué les autorités de ce pays et elle a été abattue par les forces de l’ordre.

ÉVA

Ce n’est pas vrai ! Dis-moi que ce n’est pas vrai ! Tout cela n’est que rumeur !

KOUGNONBAF

Hélas, non. Nous le savons de source officielle. Dès ce soir, ma presse annoncera la fin tragique de notre souveraine.

ÉVA

Ottokar, c’est épouvantable.

KOUGNONBAF

Il faut être courageuse. À présent, tout le poids de la Syldurie repose sur tes frêles épaules. Te voilà reine, et moi, je suis ton Prince consort, (à part) en attendant d’être ton roi et ton maître, petite grue !

(Entre Bifenbaf, tenant à la main plusieurs journaux.)

Scène IV

ÉVA – KOUGNONBAF – BIFENBAF

BIFENBAF

Marquis, c’est une honte, votre presse est en train d’éclabousser Lynda de calomnies injurieuses.

KOUGNONBAF

Ma presse, dites-vous ?

BIFENBAF

Regardez-moi ce titre, à la une d’Arklow Match !

KOUGNONBAF

 « Lynda fréquente les dealers. »

BIFENBAF

Dis-leur de se taire !

KOUGNONBAF

Ils exagèrent.

ÉVA

Ottokar, j’espère que tu as une explication.

KOUGNONBAF

Je n’ai jamais validé la publication de cet article. C’est de la diffamation pure et simple. Il y des têtes qui vont tomber, chez Kougnonbaf-Presse.

BIFENBAF

Tu sais ce que fera Lynda quand elle sera de retour ? Elle va prendre tous tes torchons de papier, elle en fera une grosse boule qu’elle t’enfoncera dans la gorge.

ÉVA

Je ne puis en supporter davantage. Pardonnez-moi, messieurs, mais je préfère prendre congé.

Scène V

KOUGNONBAF – BIFENBAF

BIFENBAF

J’ai froissé ton journal et tu as froissé ta fiancée.

KOUGNONBAF

Je n’ai pas le choix, cela fait partie de mon plan.

BIFENBAF

Je n’ai jamais approuvé ton plan. Fallait-il pointer toute cette artillerie ? Non mais, regarde-moi ces titres : « La descente aux enfers de Lynda », « Lynda la débauchée », « la vie sulfureuse de Lynda », « La déchéance d’une reine. »

KOUGNONBAF

Votre chérie ne s’en relèvera pas.

 

 

BIFENBAF

Vous pouvez le dire ! Syldurie-Soir a publié l’évolution de sa cote d’amour : douze pour cent d’opinions favorables, contre quatre-vingt-six la semaine dernière.

KOUGNONBAF

Ma foi, je connais un autre petit roi que cela devrait consoler.

BIFENBAF

En revanche, la cote d’Éva crève le ciel. Le peuple va certainement la proclamer reine. Vous avez bien raison de vouloir l’épouser.

KOUGNONBAF

Je n’épouserai jamais cette grosse cloche en si bémol.

BIFENBAF

Comme il vous plaira. Il faut reconnaître que, pendant que sa sœur défraie la chronique, votre fiancée…

KOUGNONBAF

Cessez de dire : « Ma fiancée ». Ça m’agace ! C’est un mariage de raison. Quand je serai au pouvoir, j’appliquerai la méthode Henri VIII : d’abord je la tue, ensuite je la répudie.

BIFENBAF

Je disais que votre fiancée travaille de ses dix doigts. Elle a commencé à construire des villages écologiques et arborisés, et à détruire les favelles qui font la honte de notre capitale. Elle dépense allégrement, la petite, sans craindre de plumer l’État.

KOUGNONBAF

L’état, c’est moi.

Mais revenons à Lynda, cher marquis. Je ne tiens pas particulièrement à ce que vous fassiez une crise d’apoplexie en regardant le journal de vingt heures. Édition spéciale : « La mort de Lynda. »

 

 

BIFENBAF

Quoi ?

KOUGNONBAF

Mais rassurez-vous, mon ami, Kougnonbaf-Presse sait très bien manipuler le mensonge. Je suis impatient de la voir mourir, car plus vite elle mourra, plus vite j’accéderai au pouvoir. Alors, en attendant, je l’assassine médiatiquement.

BIFENBAF

Vous m’avez fait peur.

KOUGNONBAF

Elvire, notre chasseresse, est parvenue à traquer notre gibier jusqu’au plus profond de son terrier. À présent, elle la tient à portée de son fusil, mais, eu égard de notre vieille amitié, je lui ai donné pour consigne de lui laisser la vie. Offrez à notre Elvire un petit cadeau dont elle vous fixera elle-même le prix, et elle vous livrera, pieds et mains liés, l’objet de votre convoitise.

BIFENBAF

Marquis de Kougnonbaf, vous êtes un génie.

KOUGNONBAF

Je le sais, je me le suis déjà dit.

BIFENBAF

Vous êtes le roi des filous.

KOUGNONBAF

En attendant mieux.

BIFENBAF

La victoire est à nous, marquis.

KOUGNONBAF

Alors, il faut la fêter.

BIFENBAF

Avec quoi, marquis ?

 

 

KOUGNONBAF

Mais avec du champagne ! Je crois savoir que le vieux avait toujours quelques bonnes bouteilles en réserve. Tenez, la bibliothèque, derrière ces rayons, il y a un bar.

(Bifenbaf fait pivoter une partie de la bibliothèque, découvrant un bar.)

BIFENBAF

Le vieux coquin !

(Bifenbaf apporte une bouteille et deux flûtes, et s’apprête à servir.)

KOUGNONBAF

Voyons ! Quel cru prestigieux nous avez-vous déniché : Reims ou Épernay ?

(Il regarde l’étiquette.)

« Mousseux de la Maritza ».

BIFENBAF

J’avais oublié les royales restrictions budgétaires.

KOUGNONBAF

Au moins, cela encourage le marché des produits nationaux. À défaut de la Marne, contentons-nous de la Maritza.

BIFENBAF

Krieg ist Krieg.

(Ils se versent à boire.)

KOUGNONBAF

À la santé de la Syldurie !

BIFENBAF

Vive la Syldurie !

KOUGNONBAF

Finalement, il n’est pas mauvais, ce mousseux de la Maritza.

BIFENBAF

Il est même très bon.

KOUGNONBAF

On s’en ressert un verre ?

 

 

BIFENBAF

Mais pourquoi pas ?

(Ils vident leur verre et se resservent, même jeu jusqu’à la fin de la scène.)

KOUGNONBAF

À la santé du Roi !

BIFENBAF

Vive le Roi !

KOUGNONBAF

À ta santé, Bifenbaf.

BIFENBAF

Vive Bifenbaf !

KOUGNONBAF

À la santé de ma fiancée.

BIFENBAF

Vive Éva ! Delavent. Eh ! eh ! eh ! Éva Delavent ! Elle est bonne !

KOUGNONBAF

À la santé de Sabine Mac Affrin, ma sorcière mal-aimée.

BIFENBAF

Vive Sabine ! J’aime sa trombine !

KOUGNONBAF

Quoi ? Déjà vide ?

BIFENBAF

On n’a même pas eu le temps d’y goûter.

KOUGNONBAF

Eh bien ? Bifenbaf, allez me chercher une autre bouteille de cet excellent Champaritza. Vous devriez déjà être revenu !

BIFENBAF

 « La Maritza, c’est ma rivière, – Comme la Seine est la tienne… »

KOUGNONBAF

À la santé de Mademoiselle Vartanova.

BIFENBAF

Vive Sylvie Vartan !

KOUGNONBAF

À qui le tour ? C’est qu’il faut la finir cette bouteille.

BIFENBAF

Oui, avant d’en entamer une autre.

KOUGNONBAF

À la France, et à son grand Président.

BIFENBAF

Oh ! Grand Président, il ne faut tout de même pas exagérer. Vive la France !

KOUGNONBAF

À nos amours !

BIFENBAF

Oui, à nos amours. Je t’aime, mon petit Ottokar.

KOUGNONBAF

Moi aussi, mon petit Miroslav. Je t’aime.

BIFENBAF

Embrasse-moi, Ottokar !

KOUGNONBAF

Épouse-moi, Miroslav !

BIFENBAF

Ah ! Non ! Tu as déjà une fiancée.

KOUGNONBAF

Qui ? Éva ? Cette gourde ?

BIFENBAF

Éva la cruche !

KOUGNONBAF

Éva la godiche !

BIFENBAF

Éva la gudule !

KOUGNONBAF

Éva la majorée… mijaurée !

BIFENBAF

Éva nu-pieds !

KOUGNONBAF

Éva t’en coller une !

BIFENBAF

Oui, encore une ! J’ai soif !

(Il va chercher une troisième bouteille.)

Pour qui celle-ci ?

KOUGNONBAF

Pour qui ? Je te le demande ! Pour Lynda !

BIFENBAF

Vive Lynda !

KOUGNONBAF

Lynda est morte.

BIFENBAF

Meurt Lynda !

KOUGNONBAF

Noyons notre chagrin dans les flots de la Maritza.

BIFENBAF

Elle ne nous embêtera plus.

KOUGNONBAF – BIFENBAF

 « Elle ne mettra plus de l’eau dedans mon verre – la guenon, la poison, elle est mo-o-rte. »

(La porte s’ouvre discrètement. Lynda apparaît à l’insu des deux buveurs.)

 

 

Scène VI

KOUGNONBAF – BIFENBAF – LYNDA

LYNDA

Attendez-moi ici, les enfants !

BIFENBAF

Je ne suis pas tes enfants.

KOUGNONBAF

Mais je n’ai rien dit !

BIFENBAF

Où en étions-nous ?

KOUGNONBAF

À Lynda.

BIFENBAF (soupirant)

Ah !... Lynda.

KOUGNONBAF

Lynda la peste !

BIFENBAF

Lynda la chipie !

KOUGNONBAF

Lynda la garce !

BIFENBAF

Lynda la débauchée !

KOUGNONBAF

Lynda la perfide !

BIFENBAF

Lynda la sulfureuse !

KOUGNONBAF

Lynda la dépravée !

BIFENBAF

Lynda la droguée !

 

 

KOUGNONBAF

Lynda la dealeuse !

BIFENBAF

À mort Lynda !

KOUGNONBAF

Que le diable l’emporte !

BIFENBAF

Que le bigre l’étripe !

KOUGNONBAF

Que le diantre la cuise.

BIFENBAF

Que Bélial lui tire les doigts de pieds !

KOUGNONBAF

Que Belzébuth lui taille les oreilles en pointe !

BIFENBAF (apercevant Lynda)

Mais regarde un peu qui voilà !

KOUGNONBAF

Une sauterelle !

BIFENBAF

Une souris !

KOUGNONBAF

Une greluche !

BIFENBAF

Une musaraigne !

KOUGNONBAF

Viens boire un coup avec nous. Il reste encore une petite goutte… Justine… Justine ‘tite goutte. À la santé de Justine.

BIFENBAF

Vive Justine !

 

 

KOUGNONBAF

Allez ! Ne fais pas ta bêcheuse, viens boire un verre avec nous.

LYNDA

En quel honneur ?

BIFENBAF

Nous fêtons, à grand renfort de champagne, la mort et l’enterrement de Lynda.

KOUGNONBAF

De Lynda la pétasse.

LYNDA

La pétasse ?

KOUGNONBAF

Tu la connais ?

LYNDA

Un peu.

KOUGNONBAF

C’est une mocheté.

LYNDA

Une mocheté ?

KOUGNONBAF

Une vraie, une pure, un authentique !

BIFENBAF

Il ne faut pas exagérer, Ottobus… rail… Ottokar. Elle n’est pas si moche que ça.

KOUGNONBAF

Elle est moche. Ne fais pas attention à lui, Justine. Il est complètement bourré. Trois malheureux litres de champagne de la Marilyn… Maritza. Miroslav, il est tellement amoureux de cette Lynda qu’il est prêt à vendre son âme au diable pour pouvoir l’épouser.

 

 

LYNDA

C’est vrai ça, Miroslav ?

KOUGNONBAF

Et en plus, il ne voit pas clair, Miroslav, complètement miro. Tellement miro… slav, qu’il la trouve belle. Mais Lynda, elle n’est pas belle, elle est moche, elle est très moche, encore plus moche que toi, ce n’est pas peu dire.

(Lynda lui donne une paire de gifles.)

Mais qu’est-ce que j’ai dit ?

BIFENBAF

Elle ne t’a pas loupé, Justine.

LYNDA

Ces belles choses étant dites, buvons à la santé de Lynda la moche.

KOUGNONBAF

À la mort de Lynda.

BIFENBAF

À l’enterrement de Lynda.

LYNDA

À la résurrection de Lynda.

BIFENBAF

C’est Lynda ! C’est elle, je te dis, c’est elle !

KOUGNONBAF

Lynda ? Où ça ?

BIFENBAF

En face de toi, imbécile ! Tu ne la reconnais pas ?

KOUGNONBAF

Mais ce n’est pas possible ? Lynda est à Paris.

LYNDA

Me voilà de retour. Et j’aurai quelques mots à vous dire, messieurs. Comment se fait-il que dans cette salle qui a vu les dernières minutes de mon père, vous organisiez une beuverie ?

KOUGNONBAF

Je…

BIFENBAF

Nous…

LYNDA

Votre attitude indigne insulte sa mémoire. Je vous châtierai avec la plus grande sévérité. Je vous laisse seulement le temps de dégriser, ensuite je vous convoquerai chacun dans mon bureau. Je veux votre emploi du temps détaillé pendant toute mon absence. Vous pouvez disposer.

KOUGNONBAF

Oh ! là ! là ! là ! là !

BIFENBAF

Ça va chauffer pour nos oreilles.

KOUGNONBAF

En ce qui concerne les miennes, ça commence déjà.

BIFENBAF

Trouve quelque chose, Ottokar. Tire-nous de ce pastis !

KOUGNONBAF

Je ne me sens pas bien, j’ai mal au cœur.

LYNDA

J’ai dit : « Vous pouvez disposer ». Ça veut dire : « Dehors ! »          

(Sortent Kougnonbaf et Bifenbaf, Lynda invite ses nouveaux amis à entrer.)

 

 

Scène VII

LYNDA – MOHAMED – MAMADOU – JULIEN

LYNDA

Soyez les bienvenus chez moi.

JULIEN

C’est Versailles ici.

LYNDA

Tout de même pas, mais la Syldurie est plutôt fière de son palais, de sa galerie d’art et sa bibliothèque royale, maintenant ouvertes à tous.

MAMADOU

Nous allons nous plaire dans cette maison.

LYNDA

Malheureusement pour vous deux, Mohamed et toi n’y resterez qu’une nuit. Dès demain, je vous livrerai à la police royale qui vous conduira au centre de détention. Rassurez-vous, les conditions de vie y sont très humaines. Et cela fait partie de notre contrat.

MAMADOU

Nous ne l’avons pas oublié, Lynda, et nous ne voulons pas trahir ta confiance.

LYNDA

Je veillerai à ce que vous soyez jugés dans les jours qui viennent. Et comme je vous l’ai dit, je témoignerai en votre faveur de votre repentir et de votre désir de commencer une nouvelle vie. Je saurai convaincre le juge. Et toi, ne t’avise pas de te présenter devant lui avec ta casquette à l’envers, ou tu auras affaire à moi.

MOHAMED

Ton avis pèsera lourd.

FABIEN (remarquant les trois bouteilles vides)

Mais dis-moi, on n’engendre pas la mélancolie chez toi.

LYNDA

Ces lamentables marquis ont profité de mon absence pour mettre la maison en désordre. Je les punirai sans aucune indulgence.

FABIENNE

S’il y a quelques baffes à donner, je suis toujours partante.

LYNDA

Mais vous avez besoin de repos, notre servante Antonia va vous diriger vers vos chambres. Quant à moi, je vous rejoindrai plus tard.

Scène VIII

LYNDA – ÉVA

(Lynda se retrouve seule. Elle trouve les journaux laissés sur place par les marquis, qu’elle lit attentivement.)

LYNDA

Alors là, mon petit père, tu vas me le payer !

(Entre Éva.)

ÉVA

Lynda ?

LYNDA

Tu es surprise de me voir ? J’aurais dû te prévenir. Excuse-moi ! J’ai finalement écourté mon séjour.

ÉVA

J’ai bien lieu d’être étonnée ! Oh ! Ma sœur ! Quelle joie ! Je te croyais morte.

LYNDA

Morte ? Moi ? En voilà une idée !

ÉVA

Tes aventures parisiennes se sont donc bien terminées. J’en avais reçu d’autres échos.

 

 

LYNDA

Je te raconterai tout cela en détail.

ÉVA

Oh ! Oui ! J’ai eu si peur ! Je croyais ne plus te revoir.

LYNDA

Eh ! bien ! Tu m’as revue. La vie va reprendre son cours et nos péripéties, je l’espère, s’achèvent ici. Reposons-nous un peu avant de nous remettre au travail.

ÉVA

Ma pauvre ! Si je t’avais perdue ! Mon deuil aurait assombri la bonne nouvelle.

LYNDA

Mais enfin, de quoi parles-tu ? Quel deuil ? Quelle bonne nouvelle ?

ÉVA

Je vais me marier ?

LYNDA

Tu vas te marier ? Toi ? En effet, si j’étais morte, je n’aurais pas pu venir à ta noce. Ç’aurait été dommage. Et qui est donc l’élu de ton cœur ?

ÉVA

Otto.

LYNDA

Otto ?

ÉVA

Ottokar.

LYNDA

Qui ça ? Ottokar ?

ÉVA

Ottokar de Kougnonbaf.

LYNDA

Quoi ?

ÉVA

Ottokar m’a demandé ma main.

LYNDA

Madame Éva de Kougnonbaf ! Je m’attendais à mieux.

ÉVA

Tu n’aimes donc pas mon fiancé ?

LYNDA

Ne t’avais-je pas mise en garde avant mon départ : « Méfie-toi des marquis et de leur hypocrisie, » t’ai-je dit. Et le mieux que tu trouves à faire, c’est de les épouser.

ÉVA

Enfin, Lynda, tu es trop suspicieuse. Ottokar est un homme charmant, et plein d’attentions pour moi.

LYNDA (lui tendant les journaux)

Regarde donc ce qui sort des rotatives de ton cher Otto.

ÉVA

Je sais, je sais. Il m’a promis de régler ce problème.

LYNDA

Il a intérêt ! Nous avons besoin de faire une petite mise au point, toutes les deux. Quand je lui aurai réglé son compte, tu passeras me voir dans mon bureau.

ÉVA

Celle-là, c’est la meilleure !

 

[1] Je vais te jeter un sort et tu seras sous la coupe de diable.

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