Acte II

ACTE II

Décor du premier acte

Scène première

MANSINQUE

(Comme au début du premier acte, Mansinque est seul à son bureau, fabriquant des bateaux de papier. Le téléphone sonne.)

Allo !… Commissariat du Dix-huitième Arrondissement… Commissaire Mansinque… C’est exact… C’est exact… C’est exact… C’est exact… C’est exact… C’est exact…

(Il raccroche)

Quelle bande d’abrutis !

(On frappe)

Entrez.

Scène II

MANSINQUE – AÏCHA

MANSINQUE

Mademoiselle Belkadri, que me vaut le plaisir de votre visite ?

AÏCHA

Vous devez vous en douter.

MANSINQUE

Non.

AÏCHA

Je me permets d’intervenir au sujet des deux frères Ben-Ahmed.

MANSINQUE

C’est exact.

AÏCHA

Djamel et Rachid.

MANSINQUE

C’est exact.

AÏCHA

Ils sont actuellement en garde à vue.

MANSINQUE

C’est exact.

AÏCHA

Pour une affaire de vol.

MANSINQUE

C’est exact. Ils ont dérobé un blouson chez Tati.

AÏCHA

Monsieur le Commissaire, j’aimerais que vous m’accordiez la permission de leur parler. Ces jeunes gens ne sont pas encore fichés dans vos services, n’est-ce pas ?

MANSINQUE

C’est exact.

AÏCHA

Honnêtement, je ne crois pas que ce soient de grands délinquants. Ils se sont laissés entraîner par des meneurs. Une faute de jeunesse. J’espère sincèrement qu’elle ne sera pas suivie de faits plus graves. C’est le moment d’ouvrir le dialogue. Comment se laisseront-ils détourner de la violence si personne ne les écoute ? C’est là qu’intervient mon rôle de médiatrice de proximité.

MANSINQUE

Je suis bien d’accord avec vous, Mademoiselle. Rachid et Djamel ne sont pas de si mauvais garçons. Je suis certain que vous saurez trouver les mots pour interpeller leur conscience. Vous faites un travail admirable parmi les jeunes de ce quartier sensible. Ils vous écoutent et ils vous respectent. Cela doit être difficile, n’est-ce pas, pour une jeune fille comme vous, de travailler parmi ces garçons ?

 

 

AÏCHA

Le défi n’était pas gagné d’avance. Mais je suis une combattante, et j’ai des convictions.

MANSINQUE

Et surtout, vous avez le tact, le savoir-faire, le don de la communication, la douceur combinée à l’autorité. Vous savez par une parole donner du courage à ces jeunes déçus par la vie. Et vous savez aussi, d’un seul regard, réduire les moqueurs au silence. Vous avez déjà rendu de grands services à la police de cet arrondissement.

AÏCHA

Monsieur le Commissaire, vous êtes trop indulgent. J’ai déjà essuyé beaucoup d’échecs.

MANSINQUE

Vous espériez que tous les loups deviennent des agneaux ? C’est impossible et vous le savez bien. Beaucoup de ces jeunes gens sont déjà engloutis par les sables mouvants de la dépravation. Nous ne pouvons plus rien pour eux, sinon les arrêter et les mettre en prison. Quant à ceux qui enfoncent jusqu’aux genoux, votre main est toujours tendue vers eux pour les secourir.

AÏCHA

J’aime tellement ces jeunes ! Je voudrais tant leur ouvrir la porte vers un avenir meilleur. Mais je ne suis qu’une pauvre fille de la Goutte d’or. Une fille qui revient de loin. Un sergent de l’Armée du Salut et son épouse m’ont secourue quand je tombais dans le piège de la drogue et de la prostitution. Ces gens vivaient vraiment l’amour du prochain. À mon tour, je veux aider ces garçons et ces filles dans la tourmente.

MANSINQUE

Un petit zeste de foi vous encourage dans votre lutte.

AÏCHA

Je suis musulmane et je le reste. Mais je dois reconnaître que ces chrétiens m’ont beaucoup appris sur le pardon et sur l’amour. « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent. » Voilà des paroles remarquables. Mais le Prophète a écrit : « Il ne convient pas à Allah de s’attribuer un fils.[1] » Qu’Isa se prétende Fils de Dieu et que sa mort ait sauvé l’humanité, c’est une chose que je ne puis ni concevoir ni accepter.

MANSINQUE

Vous m’entraînez dans un domaine auquel je ne comprends goutte.

AÏCHA

Excusez-moi ! Ce n’était pas le but de mon entretien !

MANSINQUE

C’est exact. Vous étiez venue me parler de ces deux frères. Je ne vois aucune raison de vous empêcher d’aller leur parler. Si vous voulez bien me suivre.

(Pendant que se déroulait cette discussion, Yssouvrez est entré dans la pièce et a manifesté son mécontentement par des gesticulations.)

Scène III

MANSINQUE – AÏCHA – YSSOUVREZ

YSSOUVREZ

Mansinque ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Depuis quand vous laissez les filles aller voir les racailles ? Vous vous croyez où ici ? C’est un commissariat de police, pas un hôtel borgne.

AÏCHA

Qui est ce petit roquet ?

 

 

MANSINQUE

On ne vous a donc pas présentés ? Paul Yssouvrez, notre nouveau commissaire divisionnaire.

YSSOUVREZ

Et qui est cette tartine de beurre ?

AÏCHA

Tartine de beurre ? Que voilà un bel euphémisme ! Mais ne vous gênez surtout pas ! Vous flambez d’envie de le dire, dites-le ! Lâchez-le, ce mot qui vous dévore les lèvres : « Qui est cette bougnoule ? »

YSSOUVREZ

Ne jouez pas au plus bête avec moi, Mademoiselle. Je vous préviens, à ce jeu-là, vous ne serez pas gagnante.

AÏCHA

En effet ! Vous avez l’étoffe d’un champion.

YSSOUVREZ

Vous me cherchez, vous allez me trouver. Vous voulez voir vos deux copains au violon, je vous enferme avec eux. Vous pourrez roucouler toute la nuit.

AÏCHA

Il y a des gifles qui se perdent.

YSSOUVREZ

Essayez seulement, donnez-m’en une, de gifle. Je tends la joue. Voie de fait sur un fonctionnaire de police, c’est la cour d’assises. Vous en prenez pour vingt ans. Vous ne savez pas à qui vous parlez.

AÏCHA

Le commissaire vient de me le dire.

YSSOUVREZ

Petite insolente ! Je vais vous en donner, moi ! Vous allez voir ça ! Qui êtes-vous pour commencer ?

 

 

AÏCHA

Aïcha Belkadri, médiatrice de proximité. Aïcha comme l’épouse du Prophète, et fille du Calife Abu Bakr.

YSSOUVREZ

Il ne nous manquait vraiment plus que ça ! C’est le bouquet ! C’est l’apothéose ! Une intégriste ! ici, dans mon commissariat ! une fanatique ! une islamiste ! une terroriste ! Mansinque, fouillez-la ! Elle a sûrement un revolver dans sa poche, un couteau dans ses chaussettes ou des bâtons de dynamite autour de la taille.

MANSINQUE

Premièrement, j’ai trop de respect pour Mademoiselle Belkadri pour oser la toucher. Si vous voulez qu’elle soit fouillée, appelez la mère Dumoulin. Deuxièmement, vous perdez votre temps. Cette charmante jeune fille est une pacifiste, elle a réussi à remettre des jeunes gens sur le bon chemin, elle les a aidés à trouver un emploi et retrouver leur dignité. Elle n’est pas armée.

YSSOUVREZ

Pas armée ! Je parie qu’elle cache une télécommande dans la doublure de son blouson.

MANSINQUE

Pour zapper sur Téef-Crétin ? Ça c’est une arme dangereuse, Téef-Crétin. Ça s’attaque au cerveau, ça le ralentit, ça le ramollit, ça le rétrécit. Et quand il ne te reste plus qu’un demi-neurone, tu n’es plus capable de réfléchir, de discerner, ni de juger, tu crois que tout ce qu’on te dit dans la boîte carrée, c’est la vérité, et que tout ce qu’on ne te dit pas, tu n’as pas besoin de le savoir. Alors, on te montre tous les jours à la même heure un type qui s’agite et qui fait de belles phrases, et toi tu n’as rien compris de ce qu’il a dit, mais tu votes pour lui, automatiquement.

 

 

YSSOUVREZ

Crétin vous-même ! Une télécommande, c’est pour télécommander. Des avions télécommandés, cela existe. Un petit Cesna rempli de kérosène. Elle appuie sur un bouton, elle tourne le petit bâton de joie, et elle te l’envoie s’encastrer dans la tour Montparnasse ! Un onze septembre à la française !

AÏCHA

Il dit n’importe quoi, le ventilateur sur pattes !

YSSOUVREZ

Elle a sûrement un Coran dans sa poche.

MANSINQUE

C’est son droit.

YSSOUVREZ

Non, ce n’est pas son droit ! Le Coran, c’est l’arme absolue. Il fait plus de dégâts que la bombe atomique. C’est de lui que viennent tous les fanatismes, les attentats, la guerre en Irak. C’est lui qui provoquera la perte de l’humanité.

AÏCHA

Comme vous avez l’esprit étroit ! Je ne peux pas nier qu’il existe des extrémistes. Ces hommes-là nous fournissent une publicité dont nous voudrions bien nous passer. Mais en France, des millions de musulmans vivent leur foi sans déranger personne. D’ailleurs, nous pourrions en penser autant de l’Évangile. J’ai pour amis des chrétiens : des catholiques, des protestants, et aussi des gens qui ne vont jamais à l’église, mais qui se disent tout de même chrétiens. Comment imaginez-vous nos discussions ? Le catholique me donne un coup de crucifix, le protestant un coup de Bible, et moi je les allonge tous les deux à coup de Coran ?

 

 

YSSOUVREZ

Vous commencez à m’embrouiller. Nous n’avons pas besoin de vos histoires, la France est un pays laïc, ce commissariat est un commissariat laïc, et vous y semez le trouble. En France, on a des règles démocratiques : on n’est pas polygames, on ne pratique pas l’excision sur ses filles, on n’égorge pas le mouton dans son appartement et on respecte les règles républicaines.

AÏCHA

Ce que vous dites est scandaleux !

YSSOUVREZ

Mais laissons cela côté. Je n’aime pas du tout vos méthodes. Médiatrice de proximité ! Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? À quoi est-ce que vous servez ? Vous entravez la justice, vous freinez la police dans son travail.

AÏCHA

En quoi est-ce que je freine l’action de la police ?

YSSOUVREZ

Vous êtes toujours dans nos pieds à finasser, à couper les cheveux en seize, à trouver des excuses à ces casseurs minables, à vouloir à tout prix les récupérer, les remettre sur les bons rails. Pour qui vous prenez-vous à la fin ? Pour Wonderwoman ? Pour Mère Thérésa ? Croyez-moi, ces gars-là sont irrécupérables. Ils ont bien de la chance que la peine de mort soit abolie. Ce que je dis est aussi valable pour ces deux fripouilles que nous avons coffrées hier soir. Vous voulez aller leur parler ! Qu’est-ce que vous allez leur dire ? Que ce n’est pas bien ? Qu’il faudra promettre de ne plus recommencer ? Vous voulez que je les libère ? À peine sortis, ils recommenceront. Et en plus ils nous narguent. Ils taguent « Nique la police » sur les murs du commissariat. « Nique » N.I.K.E. comme les baskets.

 

 

AÏCHA

Ces garçons n’ont encore aucun délit à leur actif, ils se sont laissés entraîner. Le commissaire Mansinque l’a très bien compris.

YSSOUVREZ

Mansinque est un incapable. Heureusement qu’il part à la retraite dans six mois. Je n’aurais pas besoin de le virer. À propos, Mansinque, avez-vous enfin arrêté ces deux trafiquants ? Djembé et Benabdallah ? Évidemment non !

MANSINQUE

Bendjellabah.

YSSOUVREZ

Pardon ?

MANSINQUE

Bendjellabah, patron, pas Benabdallah.

YSSOUVREZ

Ben Évolat, Ben Éficiaire, Ben Édictin, Ben tout ce qu’on voudra, je veux ces deux gaillards demain sans faute, menottés et amochés si possible. Faute de quoi vous entendrez parler du pays.

MANSINQUE

Du Mali ou de l’Algérie ?

YSSOUVREZ

Quoi ? Mansinque, vous vous fichez de moi ? Mais je vais vous coller un rapport au ministère, moi ! Ça ne va pas traîner.

AÏCHA

Vous faites bien de me parler de menottes. Djamel et Rachid ont treize et quatorze ans, ils n’étaient pas du tout préparés aux violences policières. Vos hommes les ont traités de turc à maure.

 

 

YSSOUVREZ

De turcamors ? Ça m’étonnerait ! De connards sans aucun doute, et c’est justifié, mais pas de turcamors.

AÏCHA

Autrefois, les Turcs considéraient les Maures comme une race inférieure, et ils le leur faisaient bien sentir. C’est une façon de parler. Comprenez que ces adolescents ont été maltraités par les forces de l’ordre et que j’en suis scandalisée. L’homme n’est pas une marchandise.

YSSOUVREZ

Pas une marchandise comme les autres ! Dans ce commissariat, je suis le Bon Dieu, ou Allah si vous préférez. Et je n’ai pas besoin de Mohamed ni de Jésus-Christ.

AÏCHA

Je ne vous permets pas de profaner le nom du Nabi, ni celui du Razul.[2]

YSSOUVREZ

La voilà qui me parle arabe, maintenant ! Elle a loupé son intégration et elle veut me dicter ma conduite ! Je ne sais pas ce qui me retient !

AÏCHA

Décidément, cette discussion n’avance à rien. Je ne vous empêche pas de faire votre métier, vous m’empêchez de faire le mien. Je suis convaincue d’être en mesure d’aider ces deux garçons. Ils ont introduit un doigt dans l’engrenage de la délinquance, et moi je suis celle qui va bloquer la machine avant qu’elle ne broie le bras entier. Et pour vous prouver que j’ai raison, je vous propose un marché des plus honnêtes. Laissez-moi parler à ces jeunes, je sais comment les convaincre. Et puis laissez les sortir, je vais bien m’occuper d’eux, je leur ferai faire un peu de sport, je leur ferai développer les talents qui dorment en eux, je les encouragerai à étudier. Faites-moi confiance. Et si j’ai fait fausse route avec eux, s’ils recommencent leurs bêtises, enfermez-moi à leur place.

MANSINQUE

Voilà qui est parlé en philanthrope !

YSSOUVREZ

Philanthrope ! Philanthrope ! Elle va filer pour quelque chose ! C’est moi le patron ici ! Toute la police de l’arrondissement est à mes ordres, et je n’ai aucune leçon à recevoir de cette petite… de cette… de cette…

AÏCHA

Bougnoule.

YSSOUVREZ

Tartine de beurre !

AÏCHA

Vous êtes décidément un individu primaire et borné. Vous avez un cerveau en forme de matraque.

YSSOUVREZ

En voilà assez ! À propose de matraque, vous allez être servie.

(Il décroche le téléphone.)

Allo ! Mademoiselle Dumoulin. Passez dans le bureau du commissaire immédiatement.

(Entre Fabienne.)

Scène IV

MANSINQUE – AÏCHA – YSSOUVREZ – FABIENNE

YSSOUVREZ

Je vous félicite pour votre célérité, Mademoiselle. Je saurai m’en souvenir pour votre notation.

FABIENNE

Que puis-je faire pour votre service, Monsieur le commissaire divisionnaire ?

YSSOUVREZ

Donnez-moi quelques torgnoles à cette péronnelle. Les règles de la galanterie m’interdisent de le faire moi-même.

FABIENNE

Avec plaisir.

(Elle s’apprête à frapper Aïcha.)

Non.

YSSOUVREZ

Quoi ?

FABIENNE

Non.

YSSOUVREZ

Et pourquoi non ?

FABIENNE

Je n’ai pas envie.

YSSOUVREZ

Parce qu’il faut que vous ayez envie ?

FABIENNE

Oui.

YSSOUVREZ

D’habitude, vous faites moins la délicate quand il s’agit de frapper.

FABIENNE

Je ne frappe pas n’importe qui.

YSSOUVREZ

Cette fille n’est pas n’importe qui.

 

 

FABIENNE

J’ai décidé de commencer une grève de la matraque à partir d’aujourd’hui.

YSSOUVREZ

Vous ? On aura tout vu ! Et en quel honneur ?

FABIENNE

D’une part, Monsieur le commissaire divisionnaire, vous m’inspirez une indescriptible antipathie. D’autre part, Aïcha est mon amie, c’est une excellente collaboratrice, et elle a raison dans tout ce qu’elle vous a dit.

YSSOUVREZ

Elle a raison dans ce qu’elle m’a dit ? Ça c’est la meilleure ! Quel esprit partisan ! Vous n’avez rien entendu de notre discussion, et vous dites qu’elle a raison.

FABIENNE

C’est comme si j’avais entendu. Je connais sa façon de penser, d’agir et de travailler. Et vous, vous n’y comprenez rien au travail relationnel. Vous ne pensez qu’à la répression. Je sais, vous avez des objectifs : cinq cents arrestations, mille coups de matraque avant la fin de l’année. Sinon : Adieu la prime !

AÏCHA

Cet apprenti dictateur est en train de détruire tout mon travail. Ça me révolte.

YSSOUVREZ

Vous, ça va ! Taisez-vous.

AÏCHA

C’est ça ! Quand on est arabe, on ferme sa grand-ouais !

YSSOUVREZ

On réglera ça plus tard, la tartine de beurre. Vous pouvez disposer.

 

 

AÏCHA

Pas tant que je n’aurai pas vu Rachid et Djamel.

YSSOUVREZ

Décidément, vous portez mon sang à ébullition. Quant à vous, Dumoulin, je vais m’occuper de votre cas. Croyez-moi, vous ne serez pas déçue. Refus d’obéissance pour commencer. Ça va vous coûter cher. Je me souviendrai de tout ça au moment de votre notation. De plus, j’ai étudié votre dossier professionnel. Pas brillant. Vous êtes une tête de pioche : beaucoup d’agitation, aucune efficacité. J’espère que vous n’attendez pas une promotion.

FABIENNE (à part)

C’est que j’ai une titanesque envie de cogner, moi.

YSSOUVREZ

Je vais m’en occuper de votre carrière ! Je vous ferai muter en Haute-Corse. Ça vous plairait la Corse ? Il y a des commissariats qui s’embrasent là-bas. Ici, c’est la colonie de vacances. Vous saurez comment je m’appelle. J’ai des relations au Ministère, et même à l’Élysée. J’ai le bras long.

FABIENNE (agitant sa matraque)

Moi aussi j’ai le bras long, quand je l’équipe de cet accessoire.

YSSOUVREZ

Arrêtez de remuer ça devant mon nez.

FABIENNE

Vous avez peur pour votre cartilage ? On fait moins le brave devant une femme en colère. Je suis tout de même plus redoutable qu’un petit noir qu’on va cueillir à l’école maternelle.

YSSOUVREZ

Vous… Vous… Sortez immédiatement de mon bureau, ou je vous fais évacuer par les forces de l’ordre.

 

 

FABIENNE

Les forces de l’ordre, c’est moi. Et ce n’est pas votre bureau, c’est le bureau du commissaire. Et comme nous faisons équipe ensemble, c’est aussi mon bureau.

YSSOUVREZ

Quoi ?

FABIENNE

Sortez immédiatement de mon bureau, où je vous fais évacuer par les forces de l’ordre. C’est-à-dire avec mon pied quelque part.

YSSOUVREZ

Alors là ! Alors là ! Je… Je… Petite insolente ! Je vais vous taper un de ces rapports ! Il va peser lourd sur votre carrière. Je ne passerai pas par la voie hiérarchique. Je l’envoie directement à Nic… au président de la République.

(Il sort en claquant la porte.)

FABIENNE

Envoie aussi une copie à Benoît XVI.

Scène V

MANSINQUE – AÏCHA – FABIENNE

MANSINQUE

Ouf !

FABIENNE

Mais qu’est-ce qui m’a pris de lui dire tout ça ?

MANSINQUE

Alors les filles ! J’ai bien l’impression que vous vous êtes fait toutes deux un nouvel ami.

AÏCHA

Ce bonhomme m’a déplu dès que je l’ai vu. J’ai reconnu à ses premières paroles cette mentalité d’extrême droite déguisée qui afflige notre beau pays. Un de ces démagogues qui croient, et veulent nous faire croire qu’il suffit d’expulser tous les étrangers pour faire disparaître la délinquance et le chômage.

MANSINQUE

Vous avez raison, Aïcha, permettez-moi de vous appeler ainsi. Notre nouveau patron n’est pas un cadeau du ciel. Vous avez sans doute agi selon votre cœur, mais comment vais-je vous défendre ? Ce type est un opportuniste accompli. Il a été nommé par faveur, tout le monde le sait. Il sait se faire des amis dans l’échelle sociale, lui : le Préfet de police, le maire de Paris, le ministre de l’Intérieur, et si j’en crois la rumeur, le Président lui-même.

AÏCHA

Pas étonnant, puisqu’il l’appelle Nick.

FABIENNE

Je le déteste, je le hais, je l’exècre. Il a des prétentions et des ambitions démesurées. Il traite son personnel avec mépris. Il n’aime pas les jeunes, ni les bronzés. Alors quand on est jeune et bronzé, tu t’imagines !

Depuis son arrivée, il a tout cassé dans le commissariat, il a usurpé notre rôle, s’imaginant être le seul pourvu d’efficacité. Il nous tyrannise, il nous met sous pression du matin jusqu’au soir. C’est à croire qu’il sort directement des chaînes de montage de chez Kärcher.

MANSINQUE

Et qu’allez-vous faire, maintenant ?

AÏCHA

Moi, je n’ai pas peur. Je suis bien notée, tout le monde apprécie mon travail, aussi bien mes chefs que les jeunes du quartier, tout le monde sauf ce succédané de Mussolini à vapeur. Dans le pire des cas, je serai mutée en banlieue en guise de brise-lame.

MANSINQUE

Et vous, Fabienne ? Je ne donne plus un centime de franc CFA de votre carrière.

FABIENNE

On recrute des caissières chez Tati. C’est bien caissière, un métier plein d’avenir. On peut même devenir ministre. Vous m’imaginez Garde des Sceaux, au prix où est le gazole. Je forcerai le Popaul à se vautrer devant moi.

AÏCHA

Tu rêves tout éveillée, ma petite pieuvrette.

MANSINQUE

Pour le moment, c’est moi qui suis vautré, et j’en ai honte. Quand je vois la bravitude, pardon, la bravoure avec laquelle vous avez tenu tête à cet enragé ! Et moi qui obéis sans réagir !

FABIENNE

Nous avons le feu de la jeunesse et vous la sagesse de la maturité.

MANSINQUE

Je crois bien que je vais vous ravir un peu de votre jeunesse et de votre feu. D’ailleurs, je ne risque plus ma carrière, moi. Elle est dans mon album photo, ma carrière.

(Le téléphone sonne.)

Allo ! Mansinque. C’est exact… c’est exact… Ozdenir… C’est exact… Youssouf Ozdenir… Un turc… C’est exact… Travailleur clandestin… C’est exact…

 

 

Scène VI

MANSINQUE – AÏCHA – FABIENNE – FABIEN

FABIEN (en coulisse)

« Je ne fais pourtant de tort à personne
En n’écoutant pas le clairon qui sonne… »

(Entre Fabien, apportant le courrier, dont deux journaux et un petit paquet.)

MANSINQUE

Ah ! Voilà le postier de service.

FABIEN

Je viens de croiser le Zébulon à ressort. Il tirait une de ces bobines !

FABIENNE

Une pieuvre lui a jeté un litre d’encre à la figure.

AÏCHA

Il vient de découvrir mon côté félin : j’ai le poil doux et les griffes acérées.

FABIEN

Vous avez regimbé contre ce cuistre.

FABIENNE

Un tant soit peu.

MANSINQUE

C’est exact. Voyons la presse.

(Il prend un journal.)

Voilà qui commence bien : Préavis de grèves. Grève des cheminots, grève dans le métro, grève dans les transports, grève des hôpitaux, grève des médecins, grève des lycéens, grève des étudiants, grève des enseignants, et pour finir en beauté, grève des C.R.S.

FABIEN

Devrons-nous prendre leur place pour casser de l’étudiant ?

MANSINQUE

Et que dit le « Figaro » ?

« Les Français sont satisfaits de leur gouvernement. »

Quoi de neuf à l’étranger ?

« Le couronnement de la Reine de Syldurie. »

FABIENNE

C’est où, ça, la Syldurie ?

FABIEN

Quelque part dans les Balkans. Un tout petit pays enclavé entre la Grèce, la Bulgarie et la Turquie.

MANSINQUE

À propos de la Turquie, nous avons le feu vert pour arrêter Oseledire.

FABIEN

Ozdenir.

MANSINQUE

C’est ça, Youssouf Ozdenir. Il sera expulsé dans son pays avant la fin de la semaine.

FABIENNE

Et sa femme ?

MANSINQUE

Elle ? Elle est née en France, de parents français, si elle veut le rejoindre, elle prend l’avion. On ne va tout de même pas lui offrir le voyage aux frais de Bolloré !

FABIENNE (qui a repris le journal)

« Lynda, seconde fille du roi Waldemar, récemment décédé, est montée sur le trône de Syldurie. La princesse Éva, héritière légitime, ayant été écartée de la royauté, suite à ses écarts de conduite… »

Sa bobine me rappelle quelqu’un.

FABIEN

Elle te rappelle Lynda de Syldurie.

 

 

FABIENNE

Idiot.

FABIEN

« Avec une bêche à l’épaule,
Avec à la lèvre un doux chant… »

C’est curieux, comme j’ai cette chanson-là dans la tête, d’un seul coup.

FABIENNE

Tu as toujours une chanson de Brassens dans la tête.

FABIEN

C’est vrai. Mais pourquoi justement cette chanson-là ? Pourquoi « Pauvre Martin » ?

FABIENNE

Ce n’est pas sa chanson la plus connue.

FABIEN

Elle gagnerait à l’être davantage.

FABIENNE

« Pauvre Martin, Pauvre misère,
Creuse la terre, creuse le temps… »

Des souvenirs se mettent en place. Il doit y avoir une relation entre ce visage et cette chanson.

FABIEN

Ça y est ! J’y suis ! Lynda ! C’est la fille qui…

FABIENNE

Oui ! bien sûr ! C’est la fille qui…

FABIEN

Qui grattait la guitare dans le métro.

FABIENNE

Qui chantait « Pauvre Martin ».

FABIEN

Qui se payait ta tête.

 

 

FABIENNE

Qui t’appelait « gallinacé d’amour. »

FABIEN

Qui portait une montre « Quartier ».

FABIENNE

Avec QU comme un quartier d’orange.

FABIEN

Fais voir le journal. C’est le même visage.

FABIENNE

Le même regard.

FABIEN

Elle est passée par le commissariat cette fille. Elle a dû y laisser des traces.

MANSINQUE

Elle doit avoir un dossier. Quel est son nom ?

FABIENNE

Tu t’en souviens, toi ?

FABIEN

Sichoucha ? Chouchachi ?

FABIENNE

Un nom en train de marchandise. Vous allez le trouver, commissaire, au kilomètre.

MANSINQUE (cherchant dans ses dossiers)

Ah ! Voilà ! J’ai trouvé : Randrianadramanitrafazanarako-tomananasoandrofoaralerison.

FABIENNE

La même chose commençant par un S. Vous devez bien avoir ça en boutique !

Attendez… cette fois j’y suis : Soussaschnick-Sassouschnic-kof, Lynda, avec un Y.

FABIEN

C’est bien elle.

FABIENNE

Elle nous a dit qu’elle était princesse.

FABIEN

Je m’en souviens. Je lui ai même répondu : « Et moi je suis Sarkozy. »

FABIENNE

Elle n’avait donc pas menti.

FABIEN

Qu’est-elle devenue ?

MANSINQUE

Expulsée vers la Syldurie, via Sofia, le 18 juin 2007.

FABIEN

J’ai passé les menottes à une reine. Vous rendez-vous compte ? Ça vous marque une vie de policier.

FABIENNE

Et moi j’ai bien failli lui éclater le crâne en deux. Tu t’imagines ? La Syldurie aurait eu une reine bicéphale.

MANSINQUE

C’est mauvais pour la diplomatie, tout ça ! La France va devoir présenter des excuses officielles à la Syldurie.

FABIENNE

Et ce n’est pas cela qui va nous propulser dans les hautes sphères de la police.

MANSINQUE

Ne vous inquiétez pas pour ça. Ce n’est pas notre affaire. C’est celle de Nicolas, et je ne porte pas peine pour lui.

Voyons la suite du courrier.

(Il ouvre les enveloppes l’une après l’autre.)

Eh bien ! Nous allons pouvoir nous occuper !

FABIEN

Quoi de neuf ?

 

 

MANSINQUE

Les ordres d’expulsions sont arrivés. Ozdenir, dont nous venons de parler. Diallo, la mère et le fils. Au fait. Avez-vous du nouveau concernant Bendjellabah et Djembé ? Évidemment non ?

FABIEN

Ils filent comme des anguilles.

MANSINQUE

Dépêchez-vous de régler le problème. Yssouvrez a le Krakatoa sous les fesses. N’ayez pas peur de les amocher un petit peu, cela fait partie des ordres.

Au fait, monsieur Dufour, votre petite expérience ? Satisfaisante ?

FABIEN

Tout à fait. D’ailleurs, j’en prends à témoin Mademoiselle Belkadri, qui a participé au projet.

AÏCHA

C’est une initiative excellente. Il fallait tout de même oser organiser une partie de football avec les jeunes du quartier. Les garçons étaient détendus. Ils avaient besoin de cette image du flic sympa. Il leur fallait ce contact convivial. Ils ont appris que vous saviez être humains, que vous étiez capable de comprendre leurs intérêts et même de comprendre leurs problèmes. Croyez-moi, commissaire, la police du Dix-huitième a vu juste. Il y a des barrières qui peuvent tomber : celle de la haine, de l’incompréhension, du mépris et de l’exclusion. Certains coups de ballon deviennent des coups de bélier. Ces jeunes gens ne sont pas tous des brutes. Si vous les méprisez, ils vous mépriseront, si vous les haïssez, ils vous haïront, mais si vous les respectez, ils vous respecteront.

 

 

MANSINQUE

Il y a aussi un paquet dans le courrier : « Monsieur Fabien. Police du dix-huitième arrondissement. Paris, France. » Vous recevez du courrier personnel au commissariat, vous ? C’est contraire au règlement.

FABIEN

Je n’y peux rien. Ce n’est pas moi qui me le suis envoyé.

MANSINQUE

C’est exact.

(Il lui donne le colis.)

FABIEN

Regardez ! Les beaux timbres !

FABIENNE

De quel pays est-ce que ça vient ?

FABIEN

Je ne sais pas. C’est du cyrillique.

MANSINQUE

Faites voir. J’ai un peu commencé le russe au lycée.

FABIEN

Cela remonte loin.

(Il remet le colis à Mansinque.)

MANSINQUE

Voyons : S. ?. ?. ?. ?. R. ?. ?. : ?????R??. : La Syldurie, dont nous parlions justement. (Il rend le colis à Fabien.)

FABIEN

Qui peut bien m’écrire de Syldurie ?

(Il ouvre le paquet qui contient une lettre et un livre.)

Lynda.

FABIENNE

Pas possible ! Lynda de Syldurie !

FABIEN

Décidément, cette fille n’a pas fini de nous étonner.

MANSINQUE

C’est exact.

FABIEN (lisant à haute voix.)

« Mon cher Fabien… »

FABIENNE

Voilà qui commence bien ! Vous alliez à l’école ensemble ?

FABIEN

« Mon cher Fabien,

J’ai beaucoup pensé à toi depuis notre fameuse rencontre sur un quai de la station Barbès-Rochechouart. Grâce à ton intervention, j’ai pu retourner dans mon pays sans bourse délier alors que je n’avais plus un centime en poche.

FABIENNE

Et en plus elle te tutoie !

FABIEN

« … plus un centime en poche.

Il m’est arrivé une aventure extraordinaire depuis notre rencontre. Tu as évidemment lu les journaux qui me comparent à Cendrillon et à qui sais-je encore. Mais ce prétendu conte de fée n’a pas vraiment d’importance. Une rencontre merveilleuse a bouleversé ma vie et a fait de moi une nouvelle Lynda. Tu ne me reconnaîtrais plus. J’ai découvert un livre merveilleux qui m’a délivré le message de celui qui m’a aimé dans ma rébellion et ma misère. Je t’offre un exemplaire de ce précieux volume. Donne-toi la peine de le lire, commence par l’Évangile de Jean. Si ton cœur recherche sincèrement la vie et la paix, tu pourras aussi rencontrer Jésus-Christ, qui a sacrifié sa vie pour toi.

Bonne lecture, à bientôt, mon petit gallinacé. »

FABIENNE

Octopodidé, ma chère, octopodidé.

FABIEN

« Post scriptum : Gros bisous à Fabienne. »

 

 

FABIENNE

Ah ! Tout de même, elle pense à moi !

MANSINQUE

Elle n’est pas un peu illuminée, cette fille ?

(Entre Yssouvrez.)

Scène VII

MANSINQUE – AÏCHA – FABIENNE – FABIEN – YSSOUVREZ

YSSOUVREZ

Mansinque ! Qu’est-ce que j’apprends ? Ce n’est pas un commissariat ici, c’est un cirque.

MANSINQUE

Qu’est-ce qui justifie ces vociférations ?

YSSOUVREZ

Où est passé Dufour, pour commencer ?

FABIEN

Mais je suis ici, devant vous.

YSSOUVREZ

Oui, bon ! D’abord, je commence à en avoir assez de vous, de votre incapacité, de vos rêveries, de vos poésies et de vos chansons.

FABIEN

C’est pourtant beau, la chanson francophone.

« Je ne fais pourtant de tort à personne
En laissant courir les voleurs de pommes. »

YSSOUVREZ

Alors là ! C’est trop ! Je vous parle de votre métier, et vous voilà reparti à me brassensiner les oreilles. « Laisser courir les voleurs de pommes ! » C’est votre portrait tout craché, ça ! Je comprends que vous aimez tant cette chanson. D’ailleurs, je ne veux plus vous entendre chanter. Vous avez autre chose à faire. Encore moins chanter Ferrat le communiste, Ferré l’anarchiste, et Brassens ! Quel exemple pour la République !

FABIEN

Savez-vous que le frère de Brassens était chef de musique dans l’armée de terre ?

YSSOUVREZ

Peut-être, mais lui passait son temps à fustiger les gendarmes.

FABIEN

Ce n’est pas notre problème, nous sommes des policiers.

YSSOUVREZ

J’apprends aussi que vous lisez Boris Vian.

FABIEN

Et alors ! C’est interdit ?

YSSOUVREZ

Boris Vian, l’antimilitariste !

FABIEN

« Monsieur le Président, je vous fais une lettre… »

YSSOUVREZ

Et vous savez ce qu’il a dit, Boris Vian ?

FABIEN

« Que vous lirez peut-être, si vous avez le temps. »

YSSOUVREZ

Boris Vian, il a dit : « Je conchie l’armée dans son intégralité. »

FABIEN

Si ça lui fait plaisir ! Ça ne nous concerne pas, nous sommes la police.

YSSOUVREZ

Ne jouez pas au plus bête avec moi. Je vais faire du ménage dans votre bibliothèque, moi, vous allez voir !

FABIEN

Mais de quel droit ? C’est l’inquisition ici ?

YSSOUVREZ

Nous en reparlerons. J’apprends des choses sur vous. À quoi est-ce qu’on vous paye ? À faire le clown ?

FABIEN

Je ne comprends pas votre allusion.

YSSOUVREZ

Je vais être plus clair : vous n’êtes pas payé pour montrer vos guiboles et taper dans un ballon.

FABIEN

Ah ! Vous parlez de cette fameuse partie de football. Un moment inoubliable, n’est-ce pas ?

YSSOUVREZ

Mais à quoi est-ce qu’on vous paye ?

FABIEN

C’était en dehors du temps de service.

MANSINQUE

C’est exact.

YSSOUVREZ

La question n’est pas là. Vous avez couvert la police de ridicule.

FABIEN

Parce que j’ai montré mes genoux ? Le Président a bien montré les siens !

YSSOUVREZ

La police n’a pas à faire le guignol avec les racailles du quartier.

FABIEN

C’était un bon moyen d’approcher leurs problèmes. Le sport apaise les esprits et calme les querelles.

YSSOUVREZ

Ce n’est pas le travail de la police. Vous n’êtes pas des travailleurs sociaux. Le rôle de la police, c’est l’investigation, l’interpellation, la lutte contre la délinquance. Et à ce propos, n’oubliez pas : Je veux Bendjellabah et Djembé avant ce soir pieds et mains liés, et amochés. À bon entendeur !

(Il sort.)

AÏCHA

Quel crétin !

 

[1] Sourate 19.35

[2] Razul : Le prophète suprême : Mahomet ; Nabi : un des autres prophètes : Jésus.

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