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Dimitri Plogrov - Acte V (2)

Deuxième tableau

Nous sommes sur le site du premier tableau. L’espace est entouré de gradins sur lesquels affluent les adorateurs de Nimrod. Au centre a été érigée une statue colossale de Zeus auquel l’artiste a donné les traits de Plogrov. Le nombre 666 est gravé sur son front.

Scène V

LA STATUE – ROSENFELD

ROSENFELD

Quel ignoble Phidias m’a fondu cette idole ?
Il ne lui manque plus, ma foi, que la parole !
À quel Haman, hélas ! pourrais-je comparer
L’orgueil et la folie de ce dégénéré ?
Ou bien, tel Antiochus, descendant d’Alexandre,
Souillant le lieu sacré telle une scolopendre,
Au pied du mur béni des Lamentations,
Crachant sur Israël et sa religion,
Reniant à jamais l’alliance signée,
Être impur et rampant ainsi qu’une araignée,
Innommable blasphème ! Abomination !
Sur la place du Temple il égorge un cochon
Sous les yeux effarés des dévots en colère.
Les juifs épouvantés ramassèrent des pierres,
Le frappant au visage, ensanglantant son front.
Plogrov eut-il vécu après un tel affront ?
Tout d’abord étourdi de roches vengeresses,
Il tombe sous les coups, aussitôt se redresse,
Marche, mettant le comble à ses iniquités,
Criant : « Je suis Nimrod ! Je suis ressuscité ! »
À Babylone aussi je viens à sa rencontre.
S’il ne craint le vrai Dieu, cet impie, qu’il se montre !
Ce Plogrov a trahi le peuple d’Israël,
Qu’il me rende ses comptes au nom de l’Éternel !
Il m’avait bien promis l’honneur de sa présence ;
Il manque au rendez-vous. N’a-t-il plus de conscience ?
Mais voyez s’entasser ces tristes spectateurs !
Viennent-ils applaudir l’ignoble dictateur ?
En sueur je gravis ce sombre monticule
Pour y trouver ce Zeus grotesque et ridicule
À sa laide effigie.

LA STATUE 

                          Que dis-tu, vieux rabbin ?

ROSENFELD

Qui a parlé ?

LA STATUE 

                   Nimrod.

ROSENFELD

                                Où donc es-tu, coquin ?

LA STATUE 

Suis-je donc à tes yeux trop petit ?

ROSENFELD

                                                   La statue !

LA STATUE 

Disparais de ma vue, vieillard, ou je te tue.

(Rosenfeld s’enfuit. Entre Esther, avec Théophile et Priscille toujours liés, un peu plus tard entrent à leur tour Bafanov, Yvonnick et Apollos.)

Scène VI

LA STATUE – ROSENFELD – ESTHER – THÉOPHILE – PRISCILLE –BAFANOV – YVONNICK – APOLLOS

(Un ciel d’orage obscurcit progressivement la scène.)

THÉOPHILE

Vous nous menez là-haut pour montrer cette horreur !

(Esther lui donne une paire de gifles.)

ESTHER 

Au vrai dieu vous devez rendre tous les honneurs.

THÉOPHILE

La farouche amazone, elle a la main solide.
Une troisième gifle et ma mémoire est vide.

BAFANOV

(Il porte le nombre 666-1 tatoué sur le front. À Apollos.)

Vous avez répondu à l’invitation.
Merci d’être venu pour l’inauguration
De ce Zeus Nimodien, d’un artiste anonyme.
Il nous montre un héros qui monte de l’abîme.
Que tous fassent silence, car Nimrod va parler.

APOLLOS

L’airain ne parle point. Pourquoi pas s’envoler ?

LA STATUE 

Quoi ? Vous doutez encore ?

APOLLOS

                                               D’où viennent ces paroles ?

LA STATUE 

Contemplez bien Nimrod avant qu’il ne s’envole.

APOLLOS

C’est la… c’est la statue !

BAFANOV

                                   Oui, Nimrod est vivant.
Il règne sur les eaux, il est maître du vent.

LA STATUE 

Apollos, repent-toi ! Par la lave et le soufre !
Avant que sous tes pieds t’engloutisse le gouffre.

APOLLOS

Pardonne, ô dieu de bronze, mon incrédulité.

LA STATUE 

Je suis miséricorde et magnanimité.

Je te pardonne donc. À genoux, chair mortelle !

(Apollos se prosterne.)

THÉOPHILE

Le revoilà vautré !

PRISCILLE

                           La triste clientèle !

LA STATUE 

Peuples, écoutez-moi, vous qui êtes entrés
Le dimanche en église, qu’avez-vous rencontré ?
De beaux parleurs en beaux habits ? Sectes rusées !
De gris pasteurs aux beaux sermons ? Billevesées !
Vous avez espéré qu’en imposant leurs mains
Ils vous auraient guéris. Vous avez cru en vain,
Rentrant dans vos maisons avec vos maladies,
Les mêmes ritournelles, les mêmes mélodies.
En Galilée, Jésus, de la voix, du toucher
Sut faire voir l’aveugle et le boiteux marcher,
Redressait le bossu, le perclus, le difforme.
C’était l’ancien Jésus au meilleur de sa forme.
Dieu est mort ! Il est mort ! Qu’attendez-vous de lui ?
Je suis vivant !

THÉOPHILE

                     On le saura !

LA STATUE 

                                       Dès aujourd’hui
Je m’engage à guérir ici tous les malades.
J’en guéris par million, j’en guéris par myriades.

BAFANOV

Il suffit de toucher ce colosse d’airain,
Vous sentirez l’esprit vous agiter les reins.
Approchez Apollos, car votre diabète
Vous ravage la vie. N’ayez peur de la bête.

APOLLOS

Comment peut-il savoir, ce bougre d’animal
Que je crains pour ma vue en raison de ce mal ?
Je n’ai jamais d’ailleurs, de tout mon ministère
Prêché la guérison.

BAFANOV

                            Vous auriez dû le faire.

APOLLOS

Les fidèles croyants pour qui j’aurais prié
N’auraient été guéris, je le puis parier.

LA STATUE 

J’offre à tous la santé, Dieu donnait la souffrance.
Qui sera le premier ? Croyez en ma puissance.

(Apollos touche la statue.)

APOLLOS

Il m’a guéri du mal qui conduit à la mort !
J’ai ressenti l’esprit qui parcourait mon corps.

BAFANOV

Quelles sont vos raisons de refuser de croire ?
Qu’on se jette à plat ventre et qu’on lui rende gloire,
Car j’ai reçu de lui ce don providentiel :
Je fais sur les impies tomber le feu du ciel.

(La foudre frappe dans les tribunes à plusieurs reprises. Cris dans l’assistance.)

LA STATUE 

Braves, gentils moutons, bien soumis et dociles,
Vous qui suivez mes pas comme des imbéciles,
L’avenir glorieux devant vous s’est ouvert,
Ensemble nous irons maîtriser l’univers.
Je promets la santé ; le plaisir, l’opulence
Mais je veux en retour une pleine allégeance.
Vous porterez mon sceau sur le front, sur la main.
Oui, chacun recevra la marque dès demain.
Ce triple six, au nom de ma toute-puissance
Témoigne à tout jamais de votre obéissance.
Il assure chacun de ma protection,
Signe de confiance et de soumission.
Chacun de mes sujets devra sans préambule
Se faire sur la peau graver son matricule.

BAFANOV

Camarade Apollos, serez-vous le premier ?
Cet honneur vous revient.

APOLLOS

                                        Je serai le premier.

BAFANOV

Esther, hésitez-vous ?

ESTHER 

                                   Non point, j’ai du courage.

BAFANOV

Vous serez donc marquée. C’est le choix le plus sage.

YVONNICK

Je veux me faire aussi tatouer en public.

BAFANOV

Inutile est pour vous la démarche, Yvonnick.

YVONNICK

Comment donc ?

BAFANOV

                        J’ai reçu pour vous quelque consigne.

YVONNICK

De servir sa puissance m’a-t-on jugée indigne ?

BAFANOV

Quant à vous, Théophile, évidemment, c’est non ?

THÉOPHILE

C’est non !

BAFANOV

               Et vous, ma belle, acceptez-vous ? Sinon…

PRISCILLE

Mille fois non. Porter ce signe abominable
Me perdrait pour toujours.

BAFANOV

                                        Vraiment ? C’est regrettable.
Vous avez donc choisi le roi crucifié.
Oubliez ce Messie.

PRISCILLE

                              Je ne puis l’oublier.

ESTHER 

Renégats sans cervelle, n’avez-vous point de honte ?
Une balle à chacun, je leur règle leur compte.

BAFANOV

Esther, ne tire pas. Rends-leur la liberté.

LA STATUE 

Sans le nombre marqué nul ne peut acheter.
Nul non plus ne peut vendre, et plus de nourriture.
Ces dissidents maudits mourront en pourriture.
Réduits à l’impuissance, à la soif, à la faim,
Ces deux-là reviendront me manger dans la main.
Triste fin de carrière : les vautours, la mort blême.
La marque ou le trépas, incroyable dilemme.
Pour eux, ce triple six est condamnation,
Passeport pour l’enfer, point de rédemption.

THÉOPHILE

Nous n’arborerons pas les couleurs de la bête,
Ne servons l’Antéchrist avec son faux prophète.
L’Éternel seul est Dieu C’est lui seul que je sers.

LA STATUE 

Alors, allez-vous-en ! Périssez au désert !

(Esther délie Théophile et Priscille. Ils sortent.)

C’est l’instant de punir Yvonnick, la traîtresse
L’instant de consumer mon indigne maîtresse.
Qu’elle meure ! Je suis insensible à ses cris.

YVONNICK

Mais pourtant… ton pardon… je croyais… Dimitri !

(Sur un signe de Bafanov, la foudre frappe Yvonnick.)

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