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VI. On brade un royaume

Le duel s’engage. Décidément, on parle beaucoup de cape et d’épée dans cette histoire. Malheureusement pour Miroslav, son adversaire est bel et bien l’escrimeur émérite qu’il prétend être. Celui-ci lui glisse sa lame entre les côtes et lui transperce le ventricule gauche. D’ailleurs, si c’était le ventricule droit, le résultat serait le même.

Le prétendant au trône de Syldurie trépassa donc.

La politique est une affaire facile quand le pouvoir n’a pas d’opposition. Or, en Syldurie, le parti de Lynda, qui était majoritaire, a brusquement cessé d’exister. Seule l’opposition reste en lice, de ce fait, elle devient majoritaire. L’avenir de ce beau pays va donc se jouer très vite. Alphonse de Baffagnon, qui s’est débarrassé de son dernier rival, se proclame roi. Comme il était entendu au départ, et sans demander l’avis ni du peuple ni des parlementaires, le roi désigne Dimitri Plogrov comme Premier ministre. Au bout de deux semaines, ledit Plogrov est parvenu à cosigner le traité qui fait de la Syldurie la dernière étoile jaune de la Soyouz européenne. Ladite Soyouz, pour punir la Syldurie de lui avoir si longtemps fait des pieds de nez, sans demander l’avis à ce qui reste du peuple syldure qui, d’ailleurs, n’en a pas grand-chose à gratter, décida en un coup de plume, de partager le pays en deux : la partie nord étant annexée à la Bulgarie et le sud à la Grèce. Toutefois, Alphonse conserve à titre honorifique son appellation de roi de Syldurie, de même que le beau Manu porte le titre pompeux de coprince d’Andorre, ce qui ne l’avance guère sur le plan du pouvoir.

Le dindon de cette farce, vous l’avez compris, c’est Alphonse, qui a tué Miroslav pour des prunes. Dimitri, lui, tire son épingle du jeu par une remarquable pirouette.

En récompense pour les services rendus à la Soyouz, un poste de secrétaire général a été créé rien que pour lui. Du haut de cette deuxième marche du podium, il prend son élan pour la première, mais il met tout en œuvre pour s’élever beaucoup plus haut. Il commence par contracter des alliances avec la Russie et les États-Unis. Il s’allie avec le Vatican et nomme délégué aux cultes l’émir Abdallah Ibn Achmed Saïd Omar Mustapha Ben Kalish Ezab. Tout en se proclamant l’ami de l’État palestinien, il contracte une solide alliance avec Israël, pierre pesante parmi les nations.

Dimitri n’est pas le genre d’homme à pouvoir se passer de femme. Il épousa donc Yvonnick Le Kervédec, la petite sœur de Nolwenn, qui n’a que quinze ans, mais qui, malgré sa jeunesse, en promet autant que son aînée a donné sur le plan du dévergondage.

Le mariage du bellâtre avide de pouvoir était une belle aubaine, autant pour lui-même que pour Pourri Match, France Paris, Ici Dimanche, Close Heure et consorts, tous les journaux du monde entier affichaient en première page Dimitri dans son beau trois-pièces et Yvonnick dans sa robe de mariée sous les mêmes titres :

« La plus belle histoire d’amour. »

« Le plus beau des contes de fées. »

Cette romance ne pouvait pas tomber au meilleur moment. Propulsé par les médias au plus haut sommet de la gloire, il reçut le prix Nobel de la paix, et, autant par son influence que par ses manigances, finit par s’élever au rang d’empereur universel et officialisa ce pseudonyme qui lui tenait tant à cœur : celui de Nimrod.

Revenons à Arklow, ancienne capitale reléguée au rang de chef-lieu de district et dont la population était passée de deux cent cinquante mille à cent dix mille habitants.

Dimitri n’avait cessé d’aimer sa ville natale et désirait de tout son cœur donner une nouvelle naissance à cette cité fantôme : Arklow la morte. Elle lui rappelait à tous égards la Bruges du poète Rodenbach dans laquelle on trouve plus facilement un couvent qu’un estaminet et l’on s’ennuie mortellement quand on aime les plaisirs.

Tous les chrétiens nés de nouveau ayant abandonné leur patrie terrestre en faveur de la céleste, aucune voix d’opposition ne pouvait s’opposer aux projets de Nimrod. La cathédrale Sainte-Fédorova est devenue un casino où l’on vient même du Nevada pour s’y ruiner. Les uns après les autres, les lieux de cultes sont transformés en nailletecleubes, en sexechopes, en bars dans lesquels les tournées dégénèrent régulièrement en orgies et en bagarres.

Quant à la vie spirituelle, elle n’a pourtant pas cessé d’exister. Il n’y a plus de chrétiens, mais il y a toujours des croyants. Joao Texeira, ressortissant brésilien que nous avions surnommé Tartuffe, a pris la succession de Périklès Andropoulos dans son ministère. Sa première offensive aura été, selon ses propres paroles, de « libérer le peuple de Dieu des contraintes morales imposées par une religion héritée du puritanisme ». On y pratique toute sorte de magie et de nécromancie, on y brûle de l’encens pour des divinités antiques qui, selon lui, « ont trop longtemps été laissées dans l’oubli à cause de la jalousie de théologiens sectaires ». Enfin, toujours selon son enseignement, « Dieu, qui est amour, n’a jamais interdit l’amour sous quelque forme que ce soit ». Lui-même ne se prive pas de mettre sa doctrine en pratique, principalement auprès des filles et garçons de son école du dimanche.

Frantsinitza ne s’était donc pas trompée. Joao est un pervers.

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