III. Waldemar

Waldemar était un mauvais roi.

Un soir, comme à son habitude, il se servit une vodka dans sa bibliothèque, puis il s’étala dans un fauteuil. Il laissait aller ses idées, lesquelles n’avaient déjà plus un cours très cohérent. Puis il parcourut des yeux les rayons multicolores.

« J’ai des milliers de livres dans ce château, pensait-il. Il faudra bien qu’un jour, avant de mourir, je me décide à en ouvrir un. »

Puis il se leva, s’approcha du mur de lecture, parcourant du doigt les titres qui se trouvaient à hauteur de ses yeux.

« Voyons un peu : Littérature anglaise… Shakespeare… Byron… Non, ça ne me dit rien… Théâtre français… Molière… Corneille… Non. »

Il poursuivit cette recherche superficielle, mais rien, décidément, ne l’intéressait. Il vint se rasseoir. Puis il se leva de nouveau. Un gros volume avec une reliure usée attira son attention. Il l’ouvrit au hasard.

« Trop compliqué ! Ce n’est pas pour moi. »

Il ferma le livre, puis il l’ouvrit derechef.

« Aujourd’hui, si tu entends sa voix, n’endurcis pas ton cœur. »

« Allons bon ! Qu’est-ce que c’est que ce charabia ? »

Il ferma le livre et le remit à sa place, puis se mit au lit.

Heureusement pour lui, les rois de Syldurie se couchent et se lèvent quand ils veulent. Point n’est besoin d’un vicomte pour lui déboutonner sa chemise ni d’un marquis pour lui enlever ses chaussettes.

Cette nuit-là, Waldemar ne trouva pas le sommeil. Cette parole qu’il avait lue lui martelait l’esprit :

« Aujourd’hui, si tu entends sa voix, n’endurcis pas ton cœur. »

« Qu’est-ce que cela veut dire ? »

Le lendemain, la pensée habitée par ces mots, il retourna dans sa bibliothèque. Il retrouva le gros livre à la reliure usée. Il rechercha le texte qui, la veille, l’avait interpellé.

« C’est plus ou moins vers la fin, se disait-il. »

Il ne le retrouva pas.

Il tourna et retourna les pages, s’attardant parfois sur une phrase, sur un mot, ou sur un de ces titres bizarres : « Épître de Jacques », « Lamentations de Jérémie », « Habakuk », « Deutéronome », « Chroniques ou Paralipomènes »

« Paralipomènes ! Où donc sont-ils allés trouver ce nom barbare ? »

Il concentra son attention sur ce texte au titre étrange. Il comprit que c’était un livre d’histoire. D’abord, des généalogies à n’en plus finir :

« Fils de Gomer : Aschkenaz, Diphat et Togarma. – Fils de Javan : Elischa, Tarsisa, Kittim et Rodanim. Fils de Cham : Cusch, Mitsraïm, Puth et Canaan. – »

« Mais d’où sortaient ces noms à coucher dehors ? »

La suite devenait plus intéressante. Elle racontait l’histoire de rois qui se sont plus ou moins mal conduits. Il survola le texte jusqu’à trouver la vie d’un roi vraiment mauvais, encore pire que lui. Ce Manassé pratiquait la divination et la sorcellerie.

Waldemar se mit à penser à Sabine, la magicienne qu’il avait introduite dans son palais et qui l’avait initié à son art. Le Créateur verrait-il donc cela d’un mauvais œil ?

Manassé, dans ses pratiques occultes, n’avait pas hésité à brûler ses propres enfants en sacrifice à son idole et avait fait couler beaucoup de sang.

« Bon, tout de même, se dit Waldemar, je n’en suis pas rendu là ! »

Il lut la fin du récit : vaincu par ses ennemis, Manassé fut abandonné dans un cachot où il désespérait de finir ses jours. Il se mit à prier et fut délivré. Rétabli dans son royaume, il capitula devant Dieu, changea totalement de conduite et devint un bon roi.

La population syldure est majoritairement orthodoxe. Est-ce le peuple qui doit avoir la même religion que le roi, ou le roi qui doit avoir la même religion que son peuple ? Toujours est-il qu’en toute logique, Waldemar était orthodoxe ; chaque dimanche, en grande cérémonie, il se rendait à la cathédrale. Il était donc chrétien et ce raisonnement lui suffisait.

Pour la première fois, ces questions lui torturaient l’esprit : et si son titre de roi chrétien n’était qu’hypocrisie ? Et si Sabine lui avait menti en lui parlant d’une vie meilleure dans l’au-delà ? Et s’il mourait demain ? Ne valait-il pas mieux mettre ces choses au clair le plus tôt possible ?

Ce soir-là, il emporta son livre, la Bible, dans sa chambre à coucher. Il en commença la lecture depuis le commen-cement, puis, s’endormit le cœur serein après l’avoir posée sur sa table de nuit. Il fit de même les autres soirs.

Un soir enfin, il comprit qu’il devait faire un choix. Il prit la décision de reprendre sa vie en main, sous la maîtrise de celui que David appelait « mon berger ».

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