IX. La Salamandre

Puisque nous parlons des gitans, retournons chez Django, qui est à nouveau tout seul dans sa prison. Pas pour longtemps, car le sympathique empereur Thanatos avait décidé de le faire transférer dans son nouveau pénitencier de Saint-Pierre-des-Corps, afin qu’il y soit exécuté.

Félixérie et Sigur avaient retrouvé leurs pénates. Ils avaient aussi retrouvé leur tranquillité ainsi que leurs habitudes. Ils avaient maintenant l’assurance que le basson ne tournerait plus en baston. Les hommes du lieutenant Jade y veillaient.

Comme ils bénéficiaient des faveurs impériales, ils pouvaient non seulement peaufiner le trio pathétique, mais ils avaient réalisé un fichier midi qui pourvoyait à l’absence du piano.

Ils avaient surtout trouvé la sécurité grâce au piston de Thanatos qui leur avait ouvert les portes de la société G. Dégodaski-Prenloo.

Cette firme dont le logogramme figurait deux chaussures ébréchées à la pointe, avait racheté toutes les industries de

 

 la capitale, y comprit la chocolaterie Poulain et la Maison de Valérie. Elle s’étalait sur toute la zone industrielle nord. C’est justement au conditionnement des tablettes de chocolat au lait et noisettes que nos deux amis avaient été affectés.

Les sympathiques policiers les avaient également initiés à l’utilisation du bracelet de communication. Bien plus qu’une montre-bracelet, cet accessoire indispensable, et de toute façon obligatoire, équipé d’un écran tactile, servait surtout de téléphone portable, permettait d’accéder à tous les sites internet, ou plus précisément à thanatos.li, le seul autorisé, et bien sûr, à tous les divertissements validés de l’imprimatur impérial. Ce merveilleux appareil était avant tout le lien de communication entre l’empereur et chacun de ses sujets. Sa puce électronique contenait tous les renseignements administratifs, bancaires et personnels de chaque individu. Thanatos pouvait les consulter à tout moment.

« Nous pouvons vous localiser où que vous soyez et transmettre votre position à l’empereur, expliquait Laurent. C’est bien pratique si vous vous perdez dans la nature. Toutefois, je vous déconseille vivement d’aller vous perdre en Sologne. C’est une région très dangereuse contrôlée par les rebelles de la Salamandre. Vous pouvez éteindre votre bracelet, mais il démarre automatiquement lorsque l’empereur donne une allocution. Il est obligatoire de l’écouter. Vous devez garder votre bracelet en permanence, même pour dormir, même pour prendre un bain. Il est étanche. Si par inconscience vous essayiez de le retirer, vous recevriez une décharge électrique mortelle. Est-ce que c’est bien compris ?

– Thanatos peut savoir à quelle heure je me brosse les dents. C’est gai ! » grommela Félixérie.

Le chauffeur du fourgon blindé était anxieux.

« Ne t’énerve pas comme ça, Marcel, lui dit son collègue. Ce n’est tout de même pas la première fois que nous convoyons un prisonnier.

– C’est la première fois que je trimbale un condamné à mort. Tu te rends compte ? Un alphabétiseur ! Ces gens-là sont capables de tout. Et il y a les autres, les rebelles, ils vont essayer de le délivrer, c’est sûr.

– Les rebelles ! Tu ne risques pas de les voir ! Ils se terrent dans la forêt. Aucun n’ose s’aventurer sur la rive droite. C’est bien connu.

– Tout de même, pour plus de sécurité, j’aurais préféré un détour par Château-Renault.

– Nous suivons le chemin le plus court, c’est le règlement. Et même si ces affreux jojos osaient franchir la Loire, je te rappelle que nous avons un véhicule blindé à moteur thermique, et qu’ils n’ont que des chevaux et des frondes. »

Ces arguments ne rassurèrent que modérément le conducteur.

Le convoi poursuivait tranquillement sa route. Il avait quitté Chaumont-sur-Loire et s’était engagé sur la levée quand, tout à coup, le pare-brise explosa dans un fracas effrayant. Une sphère d’acier, hérissée de pointes, grosse comme le poing, venait de le percuter.

« La Salamandre ! hurla le chauffeur terrorisé.

– Fonce, Marcel ! »

Dans un crissement de pneus, Marcel lança son fourgon sans retenue. Un second projectile lui fracassa le font. Privée de conducteur, la voiture quitta la route et versa en bas du talus.

Aussitôt, un essaim de jeunes cavaliers, garçons et filles venus de partout et de nulle part, bardés de fer et de cuir, percés et tatoués, armés de redoutables objets contondants : barres à mine, chaînes, fléaux d’armes, sphères d’acier, se rua sur l’épave. Les sphères garnies de pointes brisaient les vitres qui avaient échappé à l’accident, elles frappaient et cabossaient la carcasse du véhicule. On entendait des cris d’effroi à l’intérieur.

Le deuxième occupant de l’habitacle, profitant de la confusion, prit la fuite, rapidement rattrapé par un cavalier qui lança une chaîne autour de son cou. Le cavalier sauta de son cheval et les deux hommes roulèrent au sol. Rapidement maîtrisé, à moitié étranglé, le fonctionnaire fut traîné devant l’épave et jeté à terre. L’un des rebelles, s’étant emparé des clés, ouvrit la porte arrière. Enchevêtrés et contusionnés par l’accident, le prisonnier et ses gardiens formaient un amas humain confus. Les garçons et filles de la Salamandre jetèrent les militaires dehors sans ménagement. Traînés à genoux aux pieds de leurs vainqueurs, ils entendaient la sourde flagellation des chaînes déchirant l’air. Ils pleuraient, imploraient pitié, protégeant leurs visages de leur bras.

« Pas de violences inutiles ! déclara une jeune amazone aux mains garnies de pointes redoutables. Nous sommes venus chercher le gitan, nous l’avons. À quoi nous servirait-il de zigouiller cette bande de minables ? Ils ont tout de même de la chance que je sois dans un de mes bons jours ! »

La jeune fille qui venait de parler sauta sur la croupe de son cheval. Django bondit derrière elle, accrochant ses bras autour de sa taille.

Les caprices de la Loire permettaient le passage à gué. La horde insoumise franchit le fleuve et disparut au galop à travers champs jusqu’à se disperser dans la forêt de Cheverny.

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