XV. Koursaski

Lynda retourna se coucher, mais ne se rendormit pas. Judith avait raison : elle était fort prétentieuse. Avait-elle l’intention de se battre à mains nues pour arracher l’enfant aux griffes de rapaces nidifiant on ne sait sur quel continent ? Comment allait-elle mener ce nouveau combat ? Avec quelle arme ?

Une parole des Écritures vint alors s’inscrire dans sa pensée :

 « Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes.

C’est pourquoi, prenez toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir résister dans le mauvais jour, et tenir ferme après avoir tout surmonté.[1] »

Elle finit par trouver la paix. La victoire n’était pas dans ses mains, mais dans celle de son maître. Elle ferait mieux de se glisser dans le sommeil, d’autant plus qu’elle devait aujourd’hui même recevoir un certain homme d’affaires polonais et qu’elle ne souhaitait pas le recevoir avec sa figure des nuits blanches.

À Londres, un imposant brouillard s’élevait au-dessus de la Tamise : un brouillard noir.

À Arklow, Lynda profitait du beau temps pour discuter sur une terrasse avec Elvire, Julien, Éva et Sigur quand un employé royal apporta à Lynda une carte de visite.

« Ah ! C’est mon Polonais ! Introduisez-le dans le salon panoramique et offrez-lui un café. Je le rejoins.

– Bien ! dit Sigur qui, à grand-peine, avait réussi à tutoyer la reine de Syldurie, je te remercie pour ton accueil, je vais rentrer.

– Mais non, il y a du café pour tout le monde. Et puis, ce monsieur veut nous parler d’un grand projet immobilier, je préfère écouter plusieurs avis. Allez, Sigur, je te nomme membre du comité.

– Eh bien ! Merci. »

Le petit groupe se dirigea vers le salon panoramique, témoin de tant de drames. L’homme d’affaires qui sirotait son café en l’attendant, se leva, et comme une personne très bien éduquée, saisit délicatement la main de Lynda et lui baisa la première phalange du majeur.

« Soyez le bienvenu en Syldurie, Monsieur Tombaski, et pardonnez-moi de vous avoir fait attendre.

– Si Votre Majesté me permet : Koursaski ; Gryzkwszczkszczkatoslaw Koursaski. C’est un peu difficile à prononcer, mais tout le monde m’appelle Slaw.

– Eh bien ! Monsieur Slaw, pardonnez-moi d’avoir écorné votre nom. Prendrez-vous avec nous une autre tasse de café ? Ensuite, nous parlerons de votre projet.

– Je risque de mal dormir, mais, après tout, pourquoi pas ? »

Pendant que Lynda et ses amis finissaient leur tasse de café, à Berlin, le brouillard noir s’élevait en volutes au-dessus de la Spree et se répandait à travers les rues de la ville.

Le temps de la collation permit à Lynda d’observer son nouvel interlocuteur, ses cheveux brunis pour le rajeunir, sa barbe courte, son opulente chevalière d’or massif frappée aux initiales SM.

« Curieux ! Je n’ai jamais entendu parler de ce Koursaski, et pourtant, j’ai l’impression d’avoir déjà vu cette tête quelque part, pas en Syldurie, en tout cas. Et ces initiales : SM pour Gryzmachintruc Koursaski… Bon, après tout, ce sont peut-être celles de sa femme… »

Lynda mit fin à ses réflexions quand Slaw prit l’initiative de pénétrer dans le sujet et de lui parler de son complexe hôtelier sur le front de mer. Au moyen de phrases appuyées, de plaquettes publicitaires et d’arguments convaincants, il s’efforçait de persuader la reine et son comité d’adopter son projet.

« Quel beau parleur ! pensait Elvire. Il vendrait une bicyclette à un cul-de-jatte ! J’espère que Lynda ne va pas se laisser embobiner ! »

En effet, les arguments étaient bien enchaînés. La Syldurie, grâce à son climat méditerranéen, la pureté de la mer Égée, la beauté de ses côtes rocheuses, offrait un magnifique potentiel touristique, mais les ressources hôtelières du pays demeuraient insuffisantes. Or, le groupe Koursaski lui offrait, pour un investissement minimal, des structures qui, tout en respectant l’environnement, offraient d’immenses capacités d’accueil, etcetera, etcetera. Le moment était d’autant plus opportun que, pour une raison que tout le monde ignore, la Syldurie semblait être le seul pays qui échappait au phénomène de la pollution des rivières. Les gens voudront venir de New York pour faire trempette dans les eaux cristallines de la Maritza.

La discussion durait des heures, Julien s’ennuyait ferme, Sigur baillait, les filles échangeaient des regards complices, enfin Lynda, qui, elle aussi en avait assez de tout ce marchandage, autorisa Slaw à revenir le lendemain et à installer dans le grand salon une maquette qui, disait-il, vaincrait à coup sûr sa royale réticence.

« Elvire, dit Lynda, une fois la réunion achevée, je sais que tu ne manques pas de travail, mais convoque ton bureau d’enquête. Je veux tout savoir sur ce Koursaski. Merci pour ta diligence. »

 

[1] Éphésiens 6.12/13

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