XIX. Le collier de la reine Olga

Le téléphone privé de Lynda se mit à sonner. « Appel inconnu » s’afficha à l’écran. Elle ne s’en préoccupa guère et poursuivit ses occupations. Le répondeur se mit en service :

« Salut ! Vieille autruche décatie ! C’est ton ennemie préférée. Dis donc ! Je trouve que tu traînes un peu à payer la rançon. Alors j’ai décidé d’ajouter des intérêts. Si tu veux retrouver ta rouquine, en plus des vingt-cinq milliards, je veux le collier de la reine Olga. »

Lynda se précipita sur le combiné :

« Sabine ! euh… Judith ! Tu es complètement décoiffée de la toiture, ma parole ! Tu ne sais pas ce que tu dis ! Tu te rends compte de ce que tu me demandes ? Le collier de la reine Olga !

– Tu m’as très bien comprise. Je veux le collier, et j’aurai la Syldurie, par la même occasion.

– Mais enfin ! Tu ne réfléchis pas ! Laisse tomber cette idée-là ! Le collier d’Olga ! Tu as vraiment des souris dans le grenier, ma pauvre fille ! Tu n’auras rien du tout !

– Dommage, je vais devoir dire à la petite Zoé qu’elle compte moins pour toi qu’un paquet de pierres. À mon avis, tu vas la décevoir.

– Je ne te donnerai pas le collier.

– Alors je le volerai. Ah oui ! Autre chose, ce n’est vraiment pas malin de m’avoir mise sur écoute.

– Je ne vois pas de quoi tu parles.

– Tu ne vois pas ? Je t’avais pourtant bien prévenu qu’il pourrait en cuire à ta copine. Comment se fait-il que j’aie la police autrichienne sur le paletot ?

– Je n’y suis pour rien. Ceux-là, quand ils se mettent à faire du zèle…

– Bon, j’ajoute ça sur ta note de frais. Nous en reparlerons. »

Judith raccrocha. Lynda soupira.

Petite leçon d’histoire de Syldurie :

Olga, qui régna de 1596 à 1621 fut la première de la dynastie Soussachinck-Sassouschnikof. Elle occupa son règne à guerroyer contre les Turcs auxquels elle imposa quelques cuisantes défaites. Elle n’était pas commode, la reine Olga ! Sous son autocratie, il n’en fallait pas beaucoup pour se faire écarteler. Le royaume filait doux. On disait, derrière son dos bien entendu, que c’était une sorcière, qu’elle avait fait un pacte avec le diantre, et tout ce qui s’ensuit. Elle avait du caractère et Lynda a de qui tenir. Sa légendaire cruauté ne l’empêchait pas de se préoccuper de son élégance. C’est ainsi qu’elle puisa dans son immense trésor de guerre pour se faire fabriquer un magnifique collier de diamants, magnifique au sens premier du terme puisque, non seulement il en jetait plein les yeux, mais il avait coûté un prix inimaginable. Il est toujours exposé aux visiteurs, sous bonne garde électronique, au château de Plokrow. Comme on soupçonnait Olga de danser avec les démons, la superstition populaire ne tarda pas à attribuer à ce bijou quelque pouvoir maléfique. Jusqu’à nos jours, on croit encore que la femme qui le mettrait à son cou deviendrait reine sans autre formalité, détrônant le souverain en place.

Tiens, tiens ! Nous y voilà. Judith qui, comme sa mère, touche de près à la sorcellerie et convoite la royauté aurait-elle conçu un plan diabolique ?

Justement, revenons à Judith qui, ayant établi sa cachette dans un vieux manoir perdu au fin fond des montagnes syldures, avait donné rendez-vous à Élie, son prétentieux prétendant, dans un vieil hôtel presque abandonné. Celui-ci, aveuglé par ses charmes, se perdait en déclarations amoureuses.

« Ah ! Ma chère ! Pourquoi es-tu si cruelle envers moi ? M’accorderas-tu un jour le privilège de t’appartenir ?

– Tu parles avec élégance ! On voit que tu as lu Molière et tout le bataclan. Ça me change des béotiens que j’ai l’habitude de côtoyer. Dis-moi, Élie, puisque tu m’aimes tant, je suppose que tu n’as aucun secret que je n’aie le droit de savoir.

– Bien sûr. Je n’ai rien à te cacher, mon amour.

– Alors pourquoi ne m’as-tu jamais dit que ton père était pasteur ? »

Élie blêmit. Il était présent au concert où elle avait agressé Moussa. Il l’entend encore dans son esprit crier à pleine voix : « Je hais les chrétiens. Tuez-le ! »

« Non, Judith, ce n’est pas ce que tu crois ! D’accord, mon père est pasteur, mais c’est son problème, après tout. Je n’ai pas choisi pour lui. Et puis, ce n’est pas parce que je suis fils de chrétien que je suis chrétien. Dieu a des enfants, pas de petits enfants. C’est ce que Lynda me dit toujours.

– Ah ! Ne me parle pas de celle-là ! Tu aggraves ton cas. Allez, je t’ai assez vu. Disparais de ma vue, avant que je te casse en deux ! »

C’est comme si un énorme marteau venait d’écraser son cœur. Élie, abasourdi par la douleur, s’éloigna en titubant.

« À moins, mon petit Élie, que tu veuilles te racheter en me rendant un grand service.

– Ah ! Judith ! Judith ! Pour gagner ton amour, je suis prêt au pire des crimes. Que veux-tu de moi ?

– Le collier de la reine Olga.

– Le… le collier ? Mais enfin, Judith ? Demande-moi d’escalader l’Everest en espadrilles, mais pas le collier d’Olga !

– Tant pis. N’en parlons plus. Casse-toi ! »

Il s’éloigna derechef et saisit la poignée de la porte.

« Élie !

– Oui, dit-il à travers ses larmes.

– Je suis une sorcière. Je sais manipuler les démons et les hommes, et je t’ai un peu, et même beaucoup, mâché le travail. J’ai appris que tu étais un as en informatique. Neutraliser le système de protection doit être un jeu pour toi.

– Un jeu, un jeu ! J’aimerais bien t’y voir ! C’est vachement sécurisé. Il y a au moins trente mots de passe de vingt-quatre caractères chacun. Personne ne peut entrer là-dedans.

– Même si je te les donne, les mots de passe ?

– Tu les as ? Ce n’est pas possible ! Comment as-tu fait ?

– Ne t’ai-je pas dit que je suis une sorcière ? Il m’a suffi de trouver le chef de la sécurité, de lui faire un numéro de charme. La magie aidant, il a succombé.

– Il n’y a pas besoin de magie pour succomber à tes charmes.

– Laisse-moi finir ! Voilà mon bonhomme à ma merci. Il m’invite au restaurant, chandelles, violons tziganes et champagne. Dans son champagne, je jette une petite pilule… Ma mère et moi, nous sommes des spécialistes de la pilule soluble dans le champagne : pilule pour faire dormir, pilule pour faire mourir, pilule pour faire parler. Nous aurions pu ouvrir une pharmacie : la pharmacie du diable. Il m’a donné tous les mots de passe. Il est rentré chez lui complètement dans le cirage, et le lendemain, il ne se souvenait plus de rien. »

Judith sortit de sa poche un feuillet plié en quatre qu’elle lui donna. Élie le déplia.

« Oui, dans ce cas, c’est facile. À l’heure de la fermeture, je me laisse enfermer dans le château avec mon portable. Je me connecte à la ouifi. Je neutralise le système, je vole le collier et je te l’offre. Mets ta plus jolie robe pour le porter à ton cou.

– Quand tu m’auras donné le collier, tu seras récompensé. Je t’offrirai ce que je t’ai toujours refusé. »

Fort de cette promesse, Élie redoubla de zèle pour courir au château de Plokrow, déjouer les systèmes extrêmement perfectionnés de la sécurité, et dérober le collier de la reine Olga. Tout romancier digne de ce nom aurait développé cet exploit en trois cents pages, mais je préfère le mode raccourci.

Chargé de son précieux trésor dans un sac de voyage, Élie court dès le matin retrouver l’objet de ses désirs. Judith s’empare du sac, l’ouvre avec fièvre, saisit le collier avec convoitise, en palpe les pierres avec délice.

« Sais-tu que, grâce à ce joyau, non seulement je serai la plus belle femme du monde, comme Olga l’a été, mais surtout, je deviendrai reine de Syldurie, en vertu de son pouvoir magique, je renverserai cette petite bécasse de Lynda, j’éjecterai O’Marmatway qui commence à m’agacer. Je dominerai le monde.

– Euh ! Judith ! Tu n’oublieras pas ma récompense. »

Judith ne répond pas. Elle contemple de nouveau le merveilleux collier, l’examine à la lumière du jour. Elle frotte contre la vitre l’un des diamants qui le composent. Le verre crisse, agaçant les dents d’Élie.

« Tu auras la récompense que je t’ai promise. Monte dans ma chambre à neuf heures, ce soir. Je ne te décevrai pas. Ou vé coquer, mi va coquer. »

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