III. Pi Seng Li

Des sons confus se font à nouveau entendre dans le couloir.

« Vous vous méprenez, honorable représentant de la loi. Pi Seng Li commerçant respectable.

– Avance, chinetoque, et ferme-la !

– Et ça continue ! » soupire le commissaire.

Un troisième policier lui introduit un homme d’une cinquantaine d’années, de type asiatique – on s’en serait douté ! –

« Qui est-ce encore, celui-là ?

– Pi Seng Li, honorable commissaire. Le Palais de l’Empire du Dragon de la Muraille de Chine et du Yang Tsé Kiang. Spécialités asiatiques. Très bon, pas cher. »

À la vue de ce noble chinois dont le calme contrastait avec l’agitation des protagonistes qui s’entassaient dans son bureau, le commissaire Mansinque sentit défiler dans tout son être les idées reçues concernant les Asiatiques en général, leur cuisine en particulier.

« Et qu’est-ce qu’on sert dans ton restaurant ? De la queue de lézard farcie aux œufs de dinosaures ?

– Pas queue de lézard, honorable commissaire, réfuta tranquillement le restaurateur, de son accent nasillard. Très bonne cuisine chinoise. Et pas cher. Pâtés impériaux, rouleaux de printemps, salade de crabe, chop suey, poulet aux champignons noirs, riz nature, riz cantonais, porc aux ananas, crevettes au curry, canard laqué, potage chinois aux nids d’hirondelles.

– Nids d’hirondelles ? demanda Mansinque, à la fois indigné et dégoûté. Vous servez à vos clients de la soupe aux nids d’hirondelles ?

– Honorables Français manger crottin de chèvre, humbles Chinois manger nids d’hirondelles.

– Mais c’est horrible !

– Ce sont des nouilles tressées en forme de nids, expliqua Fabien. Je vais manger chez Pi Seng de temps en temps. Vous devriez y aller aussi, c’est excellent. Et ce n’est pas cher.

– Manger des œufs pourris depuis cent ans !

– Et des queues de lézard ! ajouta le policier Dumont.

– C’est exact.

– Est-il permis d’être aussi bête ? pensait Fabien, secouant la tête horizontalement.

– Bon ! Revenons à nos lézards… à nos moutons. Pourquoi m’avez-vous amené ce type ?

– On a fait une perquisition dans son restaurant.

– Et vous avez trouvé des cochonneries, du poisson pourri, des œufs pas frais, de la viande avariée, des souris dans le frigo ?

– Ah non, chef ! Du point de vue de l’hygiène tout est impeccable, il n’y a rien à dire. Nickel ! Même les œufs étaient de la veille.

– Mais bien sûr ! Des travailleurs clandestins ! Il y en a partout chez eux. Déjà Chirac en avait une peur bleue, des Jaunes. Il n’aimait pas les Africains parce qu’il trouvait qu’ils sentaient mauvais. Les Chinois, c’est autre chose. Chirac, il n’arrivait pas à vendre ses ticheurtes à cause d’eux. Ça l’agaçait vachement. On en a fait des razzias dans les restaurants chinois ! Quelle époque ! On venait avec des cars de police entiers devant le restaurant. On trouvait toujours une pauvre fille qui n’avait pas ses papiers. On l’embarquait. C’était le bon temps !

– Même les Jaunes, ça travaille au noir ? demanda Dumont qui, lui aussi, maniait l’humour policier avec maestria.

– C’est exact. Et qu’est-ce que vous avez trouvé, chez le Chinois ?

– Rien chef. Absolument rien. Tout est en ordre. Le personnel est en règle, la comptabilité est en règle. Tout est en règle.

– Alors pourquoi m’avez-vous amené cet imbécile, puisqu’il n’a rien fait ?

– Moi non plus je n’ai rien fait, dit Moussa qui avait réussi à se faire oublier.

– Toi ta gu…Tais-toi !

– Je ne pouvais pas rentrer les mains vides, chef. De quoi j’aurais eu l’air devant les copains ?

– C’est exact.

– Bon alors qu’est-ce qu’on en fait ?

– Vous le laissez partir.

– Moi aussi je peux partir ? J’ai rien fait.

– Toi tu restes ici et tu la fermes.

– Merci honorable commissaire, dit Pi Seng Li, penchant son corps en avant. Voici ma carte. Très bon restaurant. Cuisine chinoise la meilleure du monde, après cuisine française, bien entendu. Pour vous, prix d’ami.

– On t’a à l’œil. Fais bien attention à ce que tu mets dans ta soupe aux nids. On finira bien par t’avoir. »

Pi Seng Li prit congé. Mansinque s’étala sur son bureau avec un profond soupir, prononçant imperceptiblement des jurons de commissaires. Il se sentait aussi ridicule que celui de Courteline, celui-là même qui était prêt à faire coffrer un individu qui lui rapportait une montre perdue. Notez que l’auteur de ces lignes s’est déjà fait accuser par les gendarmes d’Eure-et-Loir d’avoir lui-même cassé un clignotant de sa ZX pour escroquer les assurances. La fiction atteint à peine la réalité.

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