Vladimir a choisi son camp

 

Nous sommes en 987, l’empereur byzantin Basile II a quelques ennuis avec Bardas Phocas, en révolte contre son autorité, et comme il ne s’en sort plus, il fait appel à Vladimir Sjlatoslavitch, dit « le grand », dit « Vladimir le Soleil rouge » dit « Vladimir le Beau Soleil. » Ce monarque ensoleillé, prince de Novgorod, prince de Kiev, le tire d’affaire en lui envoyant son armée. Pour le remercier, l’empereur de Constantinople lui donne la main de sa sœur Anna Porphyrogénète. On avait tout de même de drôles de prénoms en ce temps-là !

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Je ne vous parlerai pas de toutes les folies amoureuses de ce descendant de Riourik. Pire que Salomon ! Outre ses pompeux surnoms, il avait reçu celui, moins officiel, de Fornicator maximus. C’était tout dire. Ajoutez à cela une autre passion, celle du vin et de l’hydromel, car, malheureusement pour lui, la vodka n’avait pas encore été inventée.

Or, lors d’une soirée qu’il passait en compagnie – une fois n’est pas coutume – de son épouse régulière, Anna Porphyr et tout ce qui s’ensuit, la discussion, allez savoir pourquoi, dévia sur la religion.

« Tu sais, lui disait-elle, je sais bien que tu es un vieux Viking, mais tout de même, nous sommes à l’aube du onzième siècle et il serait temps de se tourner vers l’avenir et le progrès. Tous ces dieux à longue barbe, Thor, Odin et tout le bataclan, c’est bien démodé. Tout le monde se met au monothéisme, et nous, on commence à passer pour des barbares.

– Qu’est-ce que c’est que cette invention-là ? Momo ? Comment tu dis ?

– Monothéisme. Ça consiste à croire en un seul Dieu : il crée la terre, le soleil, la lune, les étoiles et tout ça. Plutôt qu’avoir un dieu pour le soleil, un dieu pour la lune, un dieu pour l’Oural, un dieu pour le Don, un pour le Dniepr, un pour la Volga…Tout ça dans le même lot. On ne risque plus de se tromper.

– Ah oui ! C’est pratique. »

Mais, progrès ou non, le prince Vladimir n’est pas trop décidé à quitter le paganisme. D’abord, on ne change pas de religion comme de cheval, et puis, tant que les dieux de son aïeul Riourik ne lui empêchent pas de bien manger, de bien boire et de profiter des jolies filles ! On sait ce qu’on quitte…

Mais Anna Prophundsuweiter, sœur de l’empereur de Byzance, rappelons-le, ne pouvant pas être autrement qu’orthodoxe, insistait tant pour que son charmant prince fasse le ménage dans sa collection d’idoles, qu’il finit par lui concéder :

« Bon, d’accord, admettons qu’il n’y ait qu’un seul Dieu, mais d’abord, qu’est-ce qui te prouve que c’est le tien qui est le bon. Entre la Torah, le Coran, le pape, la messe et tout le bastringue, moi je m’y perds carrément.

– Eh bien ! Tu fais comme pour le vin : tu goûtes une gorgée de chaque bouteille, et après tu fais ton choix.

– Tiens ! Ce n’est pas idiot, comme idée. »

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Alors, le preux Vladimir décida d’inviter à sa table les représentants des trois grandes religions monothéistes. Chacun se faisant un devoir d’organiser la promotion de sa boutique.

« Sidi Vladimir, ti vas voir, l’islam, c’it la plis belle des riligions. Allah, c’it le sôl Diô et Mohamed c’it son prouphite.

– Eh bien ! Si Mohamed il profite, moi j’aimerai bien profiter aussi.

– T’as bien rison, sidi Vladimir. Si ti vis comme un bon misilman, quand ti sira mort, ti vas au paradis. Sinon, ti vas en enfir.

– Mais moi, j’espère bien retrouver tous les héros au Walhall. Qu’est-ce qu’il a de plus, ton paradis ?

– Au paradis, ti pô faire tout ce qui ti vô. Ti pô boire tant que ti vô. Vin, cirvoise, tant que ti vô. Et en plis, t’es jamais bourré.

– Vachement pratique.

– Et c’it pas tout, il y a dis tas de jolies femmes pour ti sirvir.

– Des femmes ?

– Tant que ti vô.

– Alors là ! Ça m’intéresse, s’il y a des femmes. C’est décidé, je veux devenir musulman. Comment on fait ?

– C’it très facile. D’abord, ti vas ti faire circoncire.

– Mais ça doit faire mal !

– C’it rien di tout. Et puis, on t’en laissera un bout assez long pour que ti puisse continuer à t’amiser.

– Ça me rassure ! Mais tout de même ! On est obligé de passer par là ?

– C’it obligi. Mais ça n’arrive qu’ine fois. C’est jiste un mauvais moment à passir.

– Soit, soit. Et c’est tout ?

– Ah non ! C’it pas tout. Ti manges plis la couchone.

– La couchone ?

– Saucisson, pâté, chiopoulata ! Tout ça c’it fini. Intirdit ! Verboten ! Nilzia !

– Nilzia ?

– Nilzia !

– C’est quand même dommage ! Enfin, soit.

– Pense au paradis. Des tas de jolies femmes ! autant que ti vô.

– Soit, soit. C’est quand la découpe ?

– Quand ti vô, sidi Vladimir.

– Le plus tôt sera le mieux.

– Ah oui ! J’allais oublier. Le vin, l’apiritif, le digistif, ça aussi c’it nilzia.

– Quoi ?

– Disoli, c’it comme ça.

– Alors là, non ! Si c’est sans alcool ! Il fallait commencer par là ! »

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L’ambassadeur musulman se voit donc éconduit. Vient le tour du Grand Rabbin.

« Dites-moi, Rabbi, comment ça se passe dans votre paradis ? Est-ce qu’il y a des femmes, au moins ?

– Évidemment qu’il a des femmes. Nous ne sommes pas misogynes à ce point-là. C’est vrai qu’Ève a péché la première, mais il ne faut pas exagérer non plus.

– Voilà qui me rassure. Et avec ces femmes-là, je pourrais bricoler ou pas ?

– Qu’entendez-vous par bricoler ?

– Eh bien ! Bricoler… Vous ne voyez vraiment pas ce que je veux dire ?

– Ah oui ! ma foi, si c’est possible ou non, je n’en sais rien. La Torah n’en parle pas.

– Il faudrait se renseigner. C’est tout de même important. Autre question : est-ce qu’on a droit au pinard dans votre religion ?

– Oui, avec modération, bien entendu.

– Bon ! Avec modération, c’est mieux que pas du tout.

– Il faut savoir que Dieu est très saint. On ne rigole pas avec la pureté. Quand Anna Prophyrojenesaiscomment aura ses ragnagnas : nilzia.

– Mais pourquoi ?

– C’est comme ça. Et on ne mange pas d’animaux impurs. Pas de porc.

– Pas de cochon, comme chez l’autre ?

– Nilzia.

– Pas de sanglier ?

– Nilzia.

– Du lièvre ?

– Nilzia.

– Du homard ?

– Nilzia.

– Des langoustes ?

– Nilzia.

– Des huîtres ?

– Nilzia.

– Tout est nilzia chez vous ! Ça promet d’être gai nos javas du samedi !

– Parce que vous faites la java le samedi, vous ? En plein shabbat ? Nilzia.

– Celle-là c’est la meilleure !

– De toute façon, vous êtes trop douillet pour vous faire circoncire. »

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Et voilà ! Le judaïsme ne lui convient pas non plus. Il ne lui reste plus que le christianisme. Mais lequel ? Il est allé plusieurs fois à l’église orthodoxe pour faire plaisir à sa chère épouse Anna Porphyrogénète – Voilà, j’y suis arrivé –, mais, d’un autre côté, par les temps qui courent, il vaut mieux ne pas froisser le pape et les cardinaux.

Vladimir décida donc, un dimanche matin, d’aller se pointer à la messe.

Il s’y barba.

En ce temps-là, la messe était triste et les églises étaient moches. Rien à voir avec le faste des cultes orthodoxes. Chez eux, au moins, c’était la classe.

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Le prince a donc choisi son camp. Il se fit baptiser en 988 et, de ce fait, l’Histoire le rebaptisa Saint-Vladimir.

Dans la foulée, il baptisa aussi tous ses sujets sans leur demander leur avis.

C’est ainsi que la Russie devint chrétienne.

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